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ACHILLÉA.

ger la mort de Patrocle, suffiront à bien des gens pour mettre Arrien parmi ceux qui disent que la passion de ces deux personnes passait l’amitié[1]. Voyez la remarque (P) de l’article Achille, et ci-dessous[2] l’une des merveilles qu’Arrien a débitées. C’est celle de ces oiseaux qui balayaient chaque jour le temple de l’île d’Achilléa.

(D) Le miracle dont Tertullien a parlé. ] Tertullien, comme le remarque M. Moréri, nous apprend qu’Achille guérit en songe un athlète nommé Cléonyme[3] : c’est-à-dire, très-apparemment, que Cléonynie crut voir en songe Achille qui lui enseignait le remède nécessaire. Tertullien se sert de ce fait et de plusieurs autres semblables contre les épicuriens qui ne voulaient reconnaître rien de surnaturel dans les songes. Cette aventure n’est guère connue ; car on n’en trouve rien dans un grand nombre d’auteurs qui ont amplement parlé d’Achille. Pamélius, dans son commentaire sur Tertullien, ne fait que nous renvoyer à Homère, qui, autant qu’il m’en peut souvenir, ne parle point de ce songe. Un passage cité par Léon d’Allazzi[4] donne quelque jour à ce fait : il porte que Léonyme, général de ceux de Crotone dans la guerre contre ceux de Locres, fut blessé sans savoir par qui, en attaquant une partie des troupes ennemies qui ne se retranchait jamais, parce qu’on la consacrait aux héros, dont on croyait que la protection lui devait suffire ; que ce général ne pouvant guérir consulta l’oracle de Delphes, qui lui apprit qu’Achille qui l’avait blessé le guérirait aussi ; que sur cela, il fut à l’île de Leuce faire ses prières ; qu’il vit en dormant quelques héros ; qu’Achille fut celui qui le guérit ; que les autres lui ordonnèrent de faire savoir aux hommes certaines choses ; et qu’Hélène en particulier le chargea de dire à Stésichorus, qui était devenu aveugle pour avoir écrit contre elle, qu’il se rétractât s’il voulait recouvrer la vue. Il est clair que cette histoire et celle que Pausanias[5] et Conon[6] racontent sont la même quant au fond : mais, dans Pausanias, c’est Ajax, fils d’Oïléus, qui blessa Léonyme et qui le guérit. Dans Conon, ce n’est point Léonyme qui fut blessé et guéri par cet Ajax, mais Autoléon. Il y a quelques autres diversités que je ne remarque point, me contentant de conjecturer que le Cléonyme de Tertullien est venu de ce Léonyme. Au reste, l’auteur cité par Léon d’Allazzi[7] dit une chose que je ne dois pas oublier : c’est qu’Homère gardant des brebis auprès du tombeau d’Achille, obtint par ses offrandes et par ses supplications, que ce héros se montrât à lui ; mais il se fit voir environné de tant de lumière, qu’Homère n’en put soutenir l’éclat. Il fut non-seulement ébloui de cette vue, mais aussi aveuglé.

(E) Celui qu’il exploita contre l’impiété des Amazones. ] Qu’il me soit permis de conter le fait selon la version de Vigénère : elle a ses grâces et ses agrémens, quoique en vieux gaulois. Voici donc comment parle cet auteur, après avoir dit que les Amazones firent faire des vaisseaux pour aller piller le temple d’Achille. Estant abordées en l’isle, dit-il[8], la première chose qu’elles firent fut de commander à ces estrangers de l’Hellesponte d’aller coupper tous les arbres plantez en rond aultour du temple : mais les coignées se venans rembarrer contr’eux mesmes les exterminèrent là sur la place, et tombèrent tous roiddes morts au pied des arbres. Et là-dessus les Amazones s’estans espandues à l’entour du temple, se mirent à vouloir presser leurs montures ; mais Achille les ayant regardées félonneusement et d’un mauvais œil, de la mesme sorte que quand devant Ilion il s’alla ruer sur le Scamandre, donna un tel espouvante à leurs chevaux, que ceste frayeur se

  1. Quelques savans ont pensé qu’Arrien fait l’éloge d’Adonis, sous le nom d’Achille, afin de faire sa cour à l’empereur Adrien. Voyez Casaubon, in Spartianum, Vit. Hadriani, cap. XIV ; et Tristan, Comment. historiq. tom. I, dans Hadrien.
  2. Dans la remarque (F).
  3. Tertull. Lib. de Animâ, cap. XLVI.
  4. Allatius, de Patriâ Homeri, pag. 145.
  5. Pausan. lib. III, pag. 102.
  6. Phot. Biblioth. codice 186, narrat. 18. Voyez Mériziac, sur les Epîtres d’Ovide, pag. 332, où il relève quelques bévues faites par Vigénère sur le passage de Pausanias.
  7. Il se nomme Hermias : le passage que Léon d’Allazi en rapporte est tiré d’un Commentaire in Phædrum Platonis, non imprimé.
  8. Philostrate dans le Néoptolème de la traduc. de Vigénère, tom. II, fol. 341 de l’édition in-4.