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ACHILLÉA.

aucune sûreté à vouloir y passer la nuit[a] ; c’est ce qui faisait que les gens qui y prenaient terre se rembarquaient vers le soir, après avoir vu les antiquités du lieu, le temple et les dons qui avaient été consacrés à Achille. Ce héros n’y était point seul, les âmes de plusieurs autres héros y avaient aussi leur demeure (A) ; et quant à lui, il fallait bien qu’il y fût en corps et en âme, puisqu’il y épousa Hélène et qu’il en eut un fils qui s’appela Euphorion, que Jupiter aima criminellement et sans succès, et qu’il tua d’un coup de foudre pour le punir de son refus [b]. D’autres disent qu’Achille y avait pour femme Iphigénie, que Diane y avait transportée, après lui avoir communiqué le don d’une immortelle jeunesse avec la nature divine[c]. D’autres enfin veulent que la femme qu’il épousa dans l’autre monde fût la fameuse Médée[d] ; mais la plus commune opinion lui donnait Hélène pour femme : c’est le sentiment que Philostrate et Pausanias ont suivi[e]. Le premier raconte que si les étrangers qui abordaient dans cette île ne pouvaient point faire voile le jour même, il fallait qu’ils passassent la nuit dans leurs vaisseaux, où Achille et Hélène les venaient voir, buvaient avec eux et chantaient non-seulement leurs amours, mais aussi les vers d’Homère[f]. Il ajoute qu’Achille cultivait alors avec d’autant plus de soin le talent de la poésie dont Calliope l’avait gratifié (B), qu’il n’en était point détourné par des occupations belliqueuses. Il ajoute encore que ceux qui passaient auprès de ce rivage entendaient une musique qui leur donnait une admiration mêlée d’horreur, et qu’ils entendaient aussi un bruit de chevaux, un cliquetis d’armes et des cris comme à la guerre. Maxime de Tyr et Arrien ne disent pas des choses moins surprenantes (C). Il ne faut point douter que ce ne fût là qu’Achille fit le miracle dont Tertullien a parlé (D). Il en fit bien d’autres, dont celui qu’il exploita contre l’impiété des Amazones (E), qui voulaient piller son temple, ne fut pas le moins éclatant. Celui qui concerne le vol des oiseaux (F) a été mal rapporté par M. Moréri, qui d’ailleurs nous fait un article à part d’une fontaine Achillée (G), dans laquelle Achille s’était lavé, et qui avait une propriété merveilleuse. Achille n’était pas le seul qui fît des miracles dans l’île de Leuce ; Hélène sa femme s’en mêlait aussi[g], comme nous le dirons dans l’article de Stesichore [* 1]. L’abondance est ici plus nuisible que la disette (H).

  1. * Cet article n’a jamais existé.
  1. Amm. Marcell. lib. XXII, cap. VIII. vous trouverez ses paroles dans la remarque (A).
  2. Ptol. Hephæst. apud Photium, p. 480.
  3. Anton. Liberalis, cap. XXVII.
  4. Tzetzes in Lycophr. schol. Apollon. lib. IV.
  5. Pausanias, lib. III, pag. 102.
  6. Philostrat. in Heroïc.
  7. Voyez la remarque (D).

(A) Les âmes de plusieurs autres héros y avaient aussi leur demeure. [1]. ] C’est ce qui paraît par un passage de Pausanias, où il raconte que Léonyme, général des Crotoniates, étant allé à l’île de Leuce pour y apprendre le remède qui le guérirait d’une blessure, rapporta qu’il y avait vu Achille, les deux Ajax, Patrocle,

  1. Dionys. Perieget.