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ACHILLE.

tre au service de Vénus qui faisait donner le nom d’Achille ; témoin ce débauché qui, se sentant déjà mort quant aux parties qu’on ne nomme pas, dit dans Pétrone, funerata est illa pars corporis qua quondàm Achilles eram[* 1]. Il avait apparemment plus de regret à cela que Milon à la perte de la force de ses bras, et il aurait paru plus blâmable à Cicéron que cet athlète, pour de très-bonnes raisons. Quæ vox potest esse contemptior quàm Milonis Crotoniatæ, qui cùm jam senex esset, athletasque se in curriculo exercentes videret, adspexisse lacertos suns dicitur, iliacrymansque dixisse : At hi quidem jam mortui sunt ! Non verò tam isti quàm tu ipse nugatur, neque enim ex te unquàm es nobilitatus, sed ex lateribus et lacertis tuis[1].

Le dictionnaire de Charles Étienne, dans l’édition de Paris, en 1620, revue et corrigée par Frédéric Morel, professeur royal, et dans celle de Genève, en 1662, corrigée encore d’une infinité de fautes, à ce que le titre porte, attribue à Aulugelle bien cité, non pas que les soldats généreux, mais que les capitaines d’une valeur extraordinaire étaient appelés Achille, et que l’argent s’appelait achilléen, parce qu’il était insurmontable, ou lorsqu’il était insurmontable. Tantæ fortitudinis fuisse fertur (Achilles) ut, teste Gellio, lib. 2, cap. 11, insigni fortitudine duces Achilles appellentur, et argentum vocetur achilleum, quod sit insuperabile et insolubile[2]. Le texte latin de Charles Étienne peut s’entendre en ces deux façons, et j’avoue même qu’aux dépens d’une mauvaise situation de paroles et de beaucoup d’inexactitude dont on se reconnaîtrait coupable, on se pourrait sauver de l’accusation d’avoir imputé à Aulugelle ce qui regarde ce prétendu argent achilléen. Mais ni Charles Étienne, ni ses correcteurs, ni M. Lloyd, ni M. Hofman, qui l’ont suivi pied à pied, ne peuvent se justifier d’avoir pris argentum pour argumentum. Car c’est pour une objection insoluble qu’on se sert de l’épithète d’achillea, et l’on appelle ordinairement dans les écoles le principal argument d’une secte, son Achille. Ce qui ne vient pas tant de ce qu’Achille était un invincible guerrier, que de la difficulté tout-à-fait embarrassante que Zénon d’Élée proposait contre l’existence du mouvement[3]. Il mettait une tortue en comparaison avec Achille, pour montrer que jamais un mobile lent qui précéderait tant soit peu un mobile vite n’en pourrait être devancé. Calepin, citant d’ailleurs fort mal Aulugelle, met argumentum et non pas argentum ; ce qui nous apprend que le mal vient d’une ancienne source, qui a formé comme deux branches de copistes. Les uns ayant à moitié chemin perdu argumentum, apparemment par la faute de l’imprimeur qui substitua argentum, ont été cause que leurs descendans conservent de main en main ce dernier mot ; les autres, à cet égard, n’ont point encore forligné. Ainsi ceux qui vont à eux, comme ont fait les correcteurs de Calepin, évitent le défaut qui s’est glissé dans l’autre branche.

(M) Aimait beaucoup la musique. ] M. Moréri en a parlé avec très-peu d’exactitude. Il a dit qu’Homère fait souvent connaître que le son de la lyre aurait un meveilleux pouvoir pour faire passer la colère d’Achille et calmer cette passion furieuse qui avait tant donné de peine aux Troyens. Il ajoute qu’Athénée l’a remarqué aussi après Theopompe. Mais il est certain qu’on ne remarque dans Homère sinon que les députés de l’armée trouvèrent Achille chantant sur la lyre les belles actions des grands hommes, pour se divertir.

Τὸν δ᾽ εὗρον ϕρένα τερπόμενον ϕόρμιγγι λιγείῃ
....................
Τῇ ὅγε θυμὸν ἔτερπεν, ἄειδε δ᾽ ἄρα κλέα ἀνδρῶν.[4].


Achille, offensé par Agamemnon, avait alors abandonné, de dépit et de colère, la cause commune. C’est tout ce qu’Homère nous en apprend. Pour des réflexions, il n’en fait point sur l’occupation où les députés trouvèrent Achille ; c’est Athénée qui en conclut qu’Homère a voulu signifier que la

  1. (*) Petron. Satyr. C. 129.
  1. Cicero de Senectute, cap. IX.
  2. Car. Stephanus in Dictionario, Voc. Achilles.
  3. Aristotel. lib. VI Physic. cap. IX, et ibi Simplicius et Themistius, Diogenes Laert. lib. IX, in Zemone.
  4. Homer., Iliad. lib. IX, vs. 186.