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ACHILLE.

pas Cicéron. Voyez la remarque (A) de l’article Pyrrhus, fils d’Achille.

(E) Elle lui avait permis de l’engrosser. ] Achille était alors si jeune, qu’il y a peu d’exemples d’une faculté générative aussi prématurée que la sienne. Néanmoins la bonne instruction avait été encore plus prompte, et il n’y avait pas eu là le désordre dont Montaigne se plaignait dans le chapitre 25 du Ier. livre de ses Essais. On nous apprend à vivre, dit-il, quand la vie est passée. Cent escoliers ont prins la vérolle avant que d’estre arrivez à leur leçon d’Aristote de la Tempérance. Mais si l’on voulait moraliser sur l’histoire poétique, on dirait à Montaigne que cette aventure du fils de Pelée est un avertissement qu’on a beau faire prendre le devant à l’éducation, elle ne laisse pas de succomber sous le poids de la nature.

Je dirai en passant que les fictions des anciens seraient un peu plus supportables qu’elles ne le sont s’ils s’étaient donné la peine de ne pas tant se contredire les uns les autres ; mais il paraît qu’ils ont regardé leur histoire fabuleuse comme un pays où chacun faisait ce qu’il lui plaisait, sans dépendance d’autrui. Apollodore dit qu’Achille n’avait que neuf ans lorsqu’on l’amena dans l’île de Scyros, et que l’on parlait déjà de l’expédition de Troie[1]. Selon Stace, les préparatifs des Grecs avaient déjà duré un an lorsque Ulysse fut envoyé à l’île de Scyros pour en retirer Achille. Quand Ulysse y arriva, Achille était déjà père[2] : jugez si la nature avait été lente à lui accorder les forces viriles, et s’il différa long-temps à les exercer sur la jeune Déidamie. Stace n’a pas osé retenir le calcul d’Apollodore ; il donne pour le moins douze ans à Achille avant que de le tirer de l’antre de Chiron[3]. Je ne sais pas comment Barthius a pu trouver que, selon le calcul de Stace, il fallait que le fils d’Achille eût plus d’un an lors de l’ambassade d’Ulysse [4] ; car, quand même ce jeune héros aurait joui de la belle dès le premier jour, son fils aurait pu n’avoir que trois mois à l’arrivée d’Ulysse. Il y en a qui ont dit qu’il réitéra la dose à sa maîtresse après les premières couches, et qu’il en eut un autre fils [5]. Mais puisqu’il était né avant le voyage des Argonautes[6], entre lequel et l’expédition de Troie les chronologues mettent pour le moins trente ans[7], jugez si les anciens poëtes ont bien concerté leurs calculs.

(F) Vulcain... fit alors de nouvelles armes à Achille. ] Personne ne doit trouver mauvais que Charles Étienne et MM. Lloyd, Hofman, Moréri, etc., parlent des armes impénétrables que Thétis fit faire à son fils par Vulcain, pour l’expédition de Troie ; car, encore qu’elle eût déjà rendu le corps invulnérable en le plongeant dans le Styx, on sait qu’il y a peu de précautions qui paraissent superflues à la tendresse maternelle. Malherbe a voulu marquer ces deux précautions de Thétis quand il a dit :

Bien que sa mère eût à ses armes
Ajouté la force des charmes[8].


Mais néanmoins il ne les a pas marquées, parce que son expression fait plutôt penser que Thétis donna des armes fées à son fils, que penser qu’outre qu’elle lui avait charmé le corps, les armes qu’elle lui donna étaient à l’épreuve. M. Ménage, qui censure justement l’équivoque de l’expression, reconnaît d’ailleurs que Thétis usa de ce double expédient qui, dans le fond, ne choque pas le vraisemblable[9]. De plus, ce n’est pas à l’auteur d’un dictionnaire à supprimer une chose, sous ombre qu’elle a été faite inutilement. Il lui suffit qu’elle se trouve dans les livres, sauf à lui à nous fortifier dans le besoin par ses sages réflexions. Or, il est certain qu’un ancien auteur nommé Philarque ou Phylarque, avait laissé par écrit que Thé-

  1. Ὡς ἐγένετο ἐννεατής. Barthius cite ces paroles dans la page 1579, et dans la page 1685 du tome III de son Commentaire sur Stace ; et néanmoins il dit dans la page 1584, qu’Apollodore ne marque point l’âge d’Achille.
  2. Stat. Achill. lib. II, vs. 234.
  3. Ibid. vs. 396.
  4. Barth. in Statium, tom. III, pag. 1684, 1736.
  5. Voyez Eustathius in Iliad. XI, et Ptol. Hephæst. apud Photium.
  6. Apollon. Argon, lib. I, vs. 558. Valer. Flaccus, Argon, lib. I, vs. 256.
  7. Voyez Calvisius sur l’an du monde 2727, et 2767 ; et le P. Labbe, Chronol. Franc. tom. I, pag. 127.
  8. Malherbe, liv. III, pag. 75.
  9. Ménage, Observat. sur Malherbe, p. 372.