Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
ACHILLE.

Nec senior Peleus natum comitatus in arma
Troica, sed caro Phœnix hœrebat alumno[1].


Xénophon[2], et Lucien[3], qui donnent ces deux précepteurs à Achille, sont exposés à la même batterie que Stace ; et au pis aller, sont-ils Homère, que Décimator a donné pour son garant ? Notez qu’encore que Stace dise que Phénix accompagna Achille à Troie[4], il ne s’ensuit pas qu’il le fasse successeur de Chiron ; car il exprime assez clairement que Phénix avait été auprès d’Achille avant ce voyage : il nomme celui-ci alumnus de Phénix[5]. Pour ce qui est de Tzetzès, qui nous conte, dans son commentaire sur Lycophron, que Pelée ayant mené Phénix à l’antre de Chiron, où Achille était élevé, lui dit : Voilà ton fils, conduis-le donc comme un bon père doit élever son fils ; il ne prouve rien contre moi, et il n’est point favorable à ceux qui voudraient recourir à la distinction de gouverneur et de précepteur, qui est si claire dans Plutarque à l’égard du fils de Philippe, roi de Macédoine. Voyez l’article Lysimachus. Je ne pense pas que les poëtes nous la fassent voir quant au même temps dans ces siècles si reculés ; et en tout cas, il ne paraît point que Pelée ait commis à Phénix la coadjutorerie de Chiron ; et si Tzetzès en s’exprimant tout-à-fait mal, avait voulu dire cela, il ne mériterait point de créance. C’est un auteur trop nouveau-venu pour mériter d’être suivi à l’égard d’un fait que l’on ne peut accorder ni avec Homère, ni avec les auteurs anciens qui ont attribué à Chiron l’éducation du petit Achille.

Finissons cette trop longue remarque par un trait qui paraîtra bien hardi. Je ne saurais qu’y faire : j’ose avancer qu’il ne faut que lire le discours de Phénix dans le IXe. livre de l’Iliade, pour admirer ceux qui admirent encore aujourd’hui ce poëme ; car sont-ce là des discours dignes de la majesté du poème épique ? Et Horace qui, au rapport de M. Moréri[6], se vante dans la 6e satire du 1er. livre, qu’il avait appris l’Iliade par cœur, avait sans doute oublié cette harangue chargée de mille inutilités, lorsqu’il donna à l’auteur de l’Iliade cet éloge, qu’il court toujours à son but, qu’il va vite à la conclusion : semper ad eventum festinat[7]. Si cela était, amuserait-il un député de l’armée grecque, chargé d’une commission très-importante et très-pressante ? l’amuserait-il, dis-je, à de petits contes de nourrice et au récit de ses vieilles aventures ?

(D) Y démêla aisément Achille. ] M. Moréri prétend, avec peu d’exactitude, qu’Ulysse le découvrit, lui ayant fait présenter par un marchand des bijoux et des armes : car, si l’on s’en tient à ce qu’Ulysse lui-même en dit dans sa harangue aux généraux de l’armée, ce fut lui qui présenta, non-seulement à Achille, mais aussi à toutes les jeunes demoiselles de la cour, ces bijoux et ces armes[8]. Si l’on s’en rapporte à Hygin et au jeune Philostrate, c’est encore Ulysse qui les présenta, étant l’un des ambassadeurs que les Grecs envoyèrent à Lycomède, pour lui demander Achille. Que si l’on s’en rapporte à Stace, l’on dira bien que ce ne fut pas Ulysse même, le chef de l’ambassade grecque, qui fit l’étalage ; mais non pas qu’il le fit faire par un marchand. Quelques modernes disent qu’il le fit lui-même, déguisé en marchand [9]. Je n’oserais soutenir qu’ils forgent cela ; mais il est bien sûr qu’ils ne l’ont pas pris dans les bonnes sources. Langius prétend que Lycomède fit tout ce qu’il put, par ses pleurs et par ses prières, pour empêcher qu’Achille ne suivît Ulysse[10], et il accuse Cicéron d’avoir pris le fils pour le père dans ces paroles : Nec enim... Trojam Neoptolemus capere potuisset, si Lycomedem, apud quem erat educatus multis cum lacrymis iter suum impedientem audire voluisset. C’est Langius qui se trompe, et non

  1. Idem, lib. II ; Silva I, vs. 88.
  2. In Conviv.
  3. In Dial. Achil. et Ant.
  4. Statius, lib. II ; Silv. I, vs. 88 ; et lib. III, Silv II, vs. 96.
  5. Meursius et Canterus entendent par le mot κουροτρόϕος, dont Lycophron s’est servi your désigner Phénix, que celui-ci avait été le père nourricier d’Achille.
  6. Dans l’article d’Horace ; mais c’est une fausseté.
  7. Horat. de Arte poët, vs. 148 .
  8. Ovidii Metamorph. lib. XIII, vs. 179.
  9. Textor. Officin. lib. II, cap. XXXII ; Nat. Comes, Mythol. lib. VI, cap. I ; Vigénère, sur Philostrate, au sommaire de la Nourriture d’Achille, Pomey, in Pantheo Mythico, etc.
  10. In Cicer. de Amicit., cap. XX.