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ACHILLE.

circonstance : et on le pouvait faire sans choquer le sentiment de tout le monde ; car quelques-uns ont parlé des rigueurs de cette nymphe pour le dieu Pan. C’est peut-être le plus malaisé de tous les ouvrages de plume que celui de bien abréger : il faut un discernement peu commun pour juger quelles sont les circonstances dont la suppression obscurcit ou n’obscurcit pas un abrégé. Justin n’est pas le seul qui ait manqué de ce fin discernement. Je me suis servi de cette pensée quelque autre part dans cet Ouvrage.

J’avais mis ici, dans la première édition, une espèce de préface à l’article suivant, que je ne supprime qu’à regret. Elle contient un éloge de feu M. Drelincourt, professeur en médecine à Leide. Tout le monde a trouvé que je m’éloignais si étrangement de l’usage, et que je plaçais si mal une telle pièce, que, pour faire cesser une censure si générale, je suis obligé d’effacer cela. Mais je déclare que j’entends que ce témoignage de ma gratitude et de mon estime soit censé demeurer ici, comme s’il y était répété de mot à mot.

ACHILLE, fils de Pélée et de Thétis, a été l’un des plus grands héros de l’ancienne Grèce. Il naquit à Phthia, dans la Thessalie [a], et fut plongé dès son enfance dans les eaux du Styx, afin d’être rendu invulnérable ; et il le serait devenu par tout le corps si sa mère eût eu l’esprit de le prendre par un talon après l’avoir tenu par l’autre[b] ; mais comme elle n’eut point cette précaution, il y eut un des talons de son fils qui demeura sujet aux blessures, et ce fut aussi par cet endroit que la mort se saisit de lui. Il ne faut pas croire cependant que les auteurs soient bien d’accord sur cela ; car on en voit qui parlent de plusieurs blessures reçues par Achille en divers endroits du corps[c]. Je rapporterai dans les remarques une autre précaution de Thétis ; c’est qu’afin de rendre son fils immortel, elle l’oignait d’ambroisie et le mettait sous la braise[d]. On le fit élever sous la discipline du centaure Chiron ; c’était la meilleure école du monde en ces siècles-là. Chiron le nourrit d’une façon assez singulière, puisqu’au lieu de lait ou de pain, ou de tels autres alimens, il lui donnait à manger de la moelle de lion, ou de celle de quelques autres bêtes sauvages (A). Les étymologistes n’ont pas négligé leurs intérêts en cette rencontre. Ils ont mis à profit cette tradition ; car ils prétendent que c’est de là qu’est venu le nom d’Achille (B). Il ne se contenta pas de lui aguerrir le corps aux exercices les plus pénibles, il lui orna aussi l’âme de plusieurs belles connaissances. Mais, si nous en croyons Homère, c’est à Phénix, et non pas à Chiron (C), qu’il faut donner la qualité de précepteur et de père nourricier d’Achille. Les inquiétudes de Thétis ne lui permirent pas de laisser son fils dans l’antre de Chiron pendant tout le temps qu’elle aurait voulu ; elle l’en tira qu’il n’avait encore que neuf ans[e], et le cacha parmi des filles, déguisé en fille, à la cour de Lycomèdes, roi de l’île

  1. Servius in Æneid. lib. II, vs. 197.
  2. Voyez la Remarque (A), num. 5.
  3. Dictys Cret. lib. II ; Dares ; Ptolemæus Hephæst. lib. VI, apud Phot. Biblioth. num. 190 ; Eustathius in Odyss. XI.
  4. Voyez la Remarque (A), num. 5.
  5. Apollodor. Biblioth. lib. III, p. 235.