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ACCURSE.

ques autres ; desquels, avec mention de leur nom et rapport de leur propre texte, je m’aiderai en brief pour faire une suite du Dictionnaire des Rimes françoises de nostre oncle monsieur le Fèvre, que je ferai voir un de ces jours.

Ce qui me fait croire qu’il a tenu sa parole, est un passage que je trouve dans la préface du Dictionnaire des Rimes françaises, imprimé l’an 1596, par les héritiers d’Eustache Vignon, in-octavo. L’auteur débute de cette façon. J’ai premièrement recueilli, dit-il [1], par manière de passe-temps, ce Dictionnaire (à peu près tel qu’il est) pour la quantité des mots, désireux de subvenir à la défectuosité de ma trompeuse mémoire. Depuis, m’estant venu en main celuy du seigneur Des Accords, enrichi de plusieurs annotations pour la rime, il m’a pris envie de revoir le mien et philosopher aussi un peu sur ce subject, ce qui n’a point esté sans profit.

(E) La seigneurie des Accords est un fief imaginaire qu’il ne fonda que sur la devise de ses aïeux. ] Laissons-le parler lui-même : « Et pour ce que, dit-il[2], par le discours du changement de surnom[3], je blasme ceux qui l’entreprennent, et qu’il semble que pour m’estre appelé seigneur des Accords, je me déclare digne de la peine que je veux estre donnée à autruy : je veux bien que tu saches que je n’ai point tant desdaigné ces écrits qu’ès Lettres accrostiches [4] des chapitres du premier livre je n’aye mis mon nom, et au second tu cognoistras encor l’an et le lieu où il fut fait. Mais comme le sujet estoit de légère estoffe, je n’y mis pas mon nom, mais une seigneurie prise sur ma devise, le corps de laquelle est un tambour [5], et pour l’esprit j’ai mis ces mots : A tous Accords, selon que mes père, ayeul et bisayeul l’avoient porté de suite. Tu verras, au chapitre des particulières remarques sur la poésie françoise, l’occasion pourquoy ceste devise fut érigée en seigneurie. » Il est bon de voir ce qu’il raconte dans le chapitre où il nous renvoie. Il avait envoyé un sonnet à « une honneste et gracieuse damoiselle, fille de feu ce grand et docte président de Bourgogne, M. Bégat, lequel, dit-il[6], me faisoit cet honneur de m’aymer.... Et pour ce, continue-t-il, qu’au-dessous du sonnet j’avois mis seulement ma devise, A tous Accords, ce fut la première qui en sa réponse me baptisa du nom du seigneur des Accords, comme aussi son père m’appela ainsi plusieurs fois : qui a esté cause qu’en tous mes discours de ce temps-là j’ay choisy ce surnom, et même en ces livres. » Il se donna par anagramme le nom de Torvobatius, comme l’assure M. Baillet[7].

  1. Préface de ce Dictionnaire des Rimes.
  2. Préface du IVe. livre des Bigarrures.
  3. C’est le IIe. chapitre du IVe. livre des Bigarrures.
  4. En effet, la première lettre du chapitre I est un E, celle du IIe. une S, et ainsi de suite jusqu’à la première du chapitre XVI, qui est un T, et par là toutes ensemble font Estienne. Tabourot. D’autres avaient déjà fait une telle chose. Voyez M. Baillet dans ses Auteurs déguisés, pages 442, 446.
  5. C’était donc une devise parlante, et une allusion manifeste à son nom Tabourot.
  6. Bigarrures, liv. IV, chap. III, pages 491, 492.
  7. Auteurs déguisés, pages 440, 607. [Joly remarque que c’est une faute de Baillet, qui a été relevée par de la Monnaie, et que jamais Tabourot ne publia rien sous le nom de Torvobatius. Dans son chapitre des anagrammatismes, Tabourot cite un officier langrois, nommé Jean Toruobat, qui anagrammatisa son nom. Toruobat est le mot Tabourot retourné ; et ce Jean Tabourot était oncle d’Étienne.]

ACCURSE[* 1], professeur en jurisprudence au treizième siècle, était Florentin. Il s’acquit un très-grand nom par les gloses qu’il composa sur le corps du droit. On dit qu’il ne commença que sur le tard à étudier la jurisprudence, et qu’il avait bien quarante ans (A) lorsqu’il se mit à ouïr les leçons du fameux Azo. Il s’était appliqué avant ce temps-là à d’autres études. Les progrès qu’il fit dans le droit civil furent si grands, qu’il devint un célèbre professeur en cette science. Il l’enseigna à Bologne, et puis

  1. * Chauſepié raconte qu’ayant perdu son nom et son surnom, il retint seulement celui d’Accorso.