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des ACCORDS.

geur, et non pas comme son logis. Ce doivent être des promenades, et non pas un séjour fixe. La jeunesse peut excuser ceux qui donnent quelques heures à ces badinages : mais si, quelques années après, on s’applique à les retoucher, et à y faire des additions, il semble que l’on ait dessein de blanchir sous ce harnais, et tanquam ad Sirenum scopulos consenescere. Voilà le sens que je donne à ces paroles de la lettre qui fut écrite par Pasquier au sieur Tabourot, l’an 1584. J’ay leu vos belles Bigarrures, et les ay leues de bien bon cœur, non-seulement pour l’amitié que je vous porte, mais aussi pour une gentillesse et naïveté d’esprit dont elles sont pleines : ou, pour mieux dire, pour estre bigarrées et diversifiées d’une infinité de beaux traits. J’eusse souhaité qu’à la seconde impression on n’y eust rien augmenté. S’il m’est loisible de deviner, il me semble que l’on y a ajousté plusieurs choses qui ne se ressentent en rien de vostre naïf ; et croirois aisément que c’eust esté quelque autre qui vous eust mal à propos presté ceste nouvelle charité. Il faut en tels sujets que l’on pense que ce soit un jeu, non un vœu auquel fichions toutes nos pensées. Vous cognoistrez par là que je vous aime et honore : puisque, pour la première fois, je vous parle si librement[1].

Je crois que des Accords ne profita guère de cet avis, et qu’il fit encore d’autres additions à ses Bigarrures, quand on les réimprima. J’ai l’édition de Paris, en 1614, où l’on voit, non-seulement, le IVe. livre des Bigarrures mais aussi les Contes facétieux du sieur Gaulard, gentil-homme de la Franche-Comté Bourguignote, et les Escraignes Dijonnaises, recueillies par le sieur des Accords. Ce quatrième livre n’est précédé ni du second ni du troisième. L’auteur donne plusieurs raisons pourquoi il le nomme néanmoins le quatrième[2] ; et il dit, entre autres choses, que ce volume entier ne serait pas bien bigarré, s’il suivait la façon des ordinaires escrivains. Il avoue que, pour le faire mieux vendre, il y a joint les Contes du sieur Gaulard. Ceux, dit-il[3], qui n’ont achepté que le premier livre pour gausser et rire, seront contraints d’achepter aussi cestuy-cy, alléchés par ce que j’y ay entremeslé de follastre, comme sont les apophtegmes, autrement propos niais, ou plutost considérations absurdes de M. Gaulard, sur le moule duquel on en a voulu figurer quelques autres par la France, comme j’oy esté adverty : mais ceux qui le font ont tort d’oster la gloire à nostre Comtois Bourguignon. Et par ainsi je ferai comme la veuve du Castillan, qui ne voulait vendre son cheval sans son chat.

Notez que le quatrième livre des Bigarrures est plus sérieux que le premier. Il est divisé en trois chapitres. Le Ier. contient quelques traits utiles pour l’institution des enfans ; le IIe. regarde le changement de surnom : et le IIIe. plusieurs particulières observations sur les vers français. L’ouvrage finit par un discours des faux sorciers et de leurs impostures. Tout cela est plein de choses curieuses, et que l’on peut lire utilement. Ce caractère particulier du quatrième livre est une des raisons que l’auteur emploie pour se justifier de l’avoir donné au public avant le second et le troisième. Il faut que je cite ses paroles. Elles témoignent qu’il n’avait point abandonné ses badinages, depuis la lettre que Pasquier lui avait écrite ; car il s’excuse d’y persévérer. Ce que j’en ai faict[4], dit-il[5], a esté principalement afin de faire entendre, par les discours de ce livre, que j’ai l’esprit disposé à autres choses qu’à des lascivetez, pour fermer la bouche à un tas de calomniateurs ignorants, qui me l’ont malignement objecté. Et, pour le regard de ceux qui trouvent à dire qu’un homme de ma profession se mesle encore de follastrer, tantost en prose, tantost en vers, je les renvoye à la docte epistre liminaire des épistres françoises du sçavant Pasquier, qui a bien monstré, tant par vives raisons qu’exemples, comme il ne faut pas assubjectir l’esprit à une seule profession si opiniastrement que l’on ne luy permette s’égayer en la source abondante de la vivacité d’iceluy. Je loue

  1. Pasquier, Lettres, liv. VIII, tom. I, pages 492, 493.
  2. Dans sa préface du IVe. liv. des Bigarrures.
  3. La même, folio A iij.
  4. C’est-à-dire, en publiant le IVe. livre de ses Bigarrures avant le IIe. et le IIIe.
  5. Préface du IVe. livre des Bigarrures, fol. A ij