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ABULPHARAGE.

brégé qu’il en traduisit, au sieur Ramusius [1], qui avait dessein de publier un second tome du Nouveau-Monde. Il y a bien de la différence entre apporter un livre de l’Orient ; et être le premier qui l’apporte de l’Orient, entre publier un livre, et en laisser le manuscrit à un homme qui s’en peut servir. Il est sûr que Ramusius n’a pas publié ce que Postel lui laissa ; et s’il est vrai que l’Abulfeda, qui était en arabe dans la bibliothéque palatine, comme le remarque M. Moréri, ait été apporté en Europe par Postel, et que cet exemplaire soit le premier qu’on ait eu dans l’Occident, il ne laisse pas d’être vrai que M. Moréri fait dire aux gens plus qu’ils ne disent, et qu’on a raison de se plaindre de ses falsifications. Celles-ci méritaient particulièrement d’être relevées.

  1. Simler le nomme Rhamnusius, et Spizélius lui donne le même nom.

ABULPHARAGE (Grégoire), fils d’un médecin nommé Aaron, fut médecin lui aussi, et s’acquit une grande réputation en son art, de sorte qu’on l’allait consulter des pays les plus éloignés. Il était de Malatia (A), proche de l’Euphrate, et il serait à présent fort peu connu, s’il s’était borné à la connaissance de la médecine ; mais il entendait l’histoire, et il nous reste un ouvrage de sa façon en ce genre-là qui fait honneur à sa mémoire. Ce n’est pas que notre siècle en juge aussi avantageusement que les Orientaux en ont jugé. Ces gens-là sont excessifs dans leurs éloges, soit à cause que les véritables savans sont fort rares parmi eux, soit par le caractère de leur génie. Quoi qu’il en soit, il y a cent historiens dans l’Occident dont les compositions ne cèdent pas en bonté à celles d’Abulpharage, et à qui personne ne s’est jamais avisé de donner les titres qu’on lui a donnés (B). Il vivait sur la fin du treizième siècle[* 1], et faisait profession du christianisme (C). Cela n’empêcha point que plusieurs mahométans n’étudiassent sous lui (D). Un certain bruit qui a couru que, se voyant près de la mort, il abjura sa religion, doit être mis au nombre de mille fables de cette nature qui se débitent dans toutes les sectes (E). Il a divisé par dynasties l’histoire qu’il a composée en arabe ; c’est un Abrégé de l’histoire universelle depuis le commencement du monde jusqu’à son temps. Sa division est en dix parties. On peut voir dans le supplément de Moréri ce que chacune contient. Édouard Pocock[a] publia ce livre d’Abulpharage en 1663, avec la version latine qu’il en avait faite. Il y a joint un supplément qui contient en abrégé la suite de cette histoire à l’égard des princes orientaux. Il avait déjà publié en 1650, avec beaucoup de savantes notes, un petit extrait de la neuvième dynastie de cet auteur. C’est ce qu’il intitula : Specimen Historiæ Arabum ; sive Gregorii Abul Faragii, Malatiensis, de origine et moribus Arabum succincta narratio. Il s’en faut bien qu’Abulpharage ne soit aussi exact sur les affaires des Grecs et sur celles des Romains que sur celles des Sarrasins et des Tartares Mogols. Ce dernier morceau est le meilleur de l’ouvrage. On y trouve, d’une manière très-instructive et qui paraît digne de foi, les prodigieuses conquêtes de Gengis-

  1. * Chauſepié dit qu’il naquit en 1226, et mourut en 1286.
  1. Professeur royal en hébreu à Oxford et lecteur en langue arabe.