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ABULFEDA.

vécu beaucoup plus tard, et peut-être dans le VIIIe. ou dans le IXe., ou même l’an 1200. Il ne fallait pas s’exprimer par un peut-être : il fallait assurer qu’il vivait dans le XIVe. siècle, puisque son ouvrage fut achevé l’an 721 de l’hégire, comme on le déclare sur la fin. Il s’est glissé une faute d’impression dans le Moréri de Hollande en cet endroit. On fait dire à Jean Gravius que notre Abulfeda vivait au commencement du XIIIe. siècle, cependant il a mis la mort de ce prince à l’an 1345[* 1]. Ce qui me fait de la peine, est de voir que le docte Édouard Pocock assure qu’Abulfeda prit possession du gouvernement de la province de Hamah l’an 700 de l’hégire[1]. On ne peut accorder cela avec ce que Jean Gravius a établi. Or, il est plus raisonnable de s’en rapporter à ce dernier qu’à l’autre, parce qu’Abulfeda est la principale matière de Gravius, au lieu que Pocock n’en parle que comme d’un fort petit accessoire. Mais n’est-il pas bien fâcheux que des gens de la force de Pucock en fait d’érudition orientale ne soient point un guide bien sûr, et que, dans le même temps qu’ils publient une chose, un de leurs collègues en fasse voir la fausseté ?

(B) M. Moréri ait pu entasser autant de fautes dans un seul article. ] On vient d’en voir quelques-unes, et voici le reste : 1°. en disant que quelques-uns croient qu’Abulfeda était de Nubie, il le confond manifestement avec l’auteur de la Geographia Nubiensis, dont nous parlerons en son lieu[* 2]. Pour le moins il fait connaître qu’il ignore que ces deux auteurs doivent être distingués ; car, s’il l’avait su, il n’aurait point rapporte l’opinion de ces gens-là sans y apposer sa censure. 2°. Il confirme cette première observation quand il ajoute qu’Abulfeda a traité sa Géographie par climats. Cela convient mieux à celui qui nous a donné la Geographia Nubiensis qu’à Abulfeda. On n’a vu de ce dernier que la description de quelques parties de l’Asie situées au delà de l’Oxus, lesquelles il met sous les climats 25 et 26. La Géographie de Nubie est tout autrement disposée. On n’y connaît que sept climats : on s’en tient à cette division des anciens ; c’est à elle qu’on rapporte la description qu’on y donne de toutes les parties du monde connu. Je remarquerai en passant qu’Abulfeda commence le premier climat à l’Arabie, et non pas, comme la Geographia Nubiensis, à la côte la plus occidentale de l’Océan Atlantique ; et qu’il prend pour le premier méridien celui qui passe sur le cap de Saint-Vincent. 3°. On n’a vu, dit M. Moreri, jusqu’à présent que les premiers climats d’Abulfeda ; on nous fait espérer les autres cette année. Voilà un grand mensonge ; ce qu’on a publié d’Abulfeda se rapporte, non pas aux premiers climats, mais au 25 et au 26. 4°. Un auteur ne devrait jamais se servir du terme vague de cette année ; car au bout de dix ans son lecteur ne sait plus où il en est : il faut recourir à la date de la première impression ; on ne la trouve qu’en quelques livres : et dans ceux où on la trouve, elle n’est pas toujours un bon garant, puisqu’il se passe quelquefois bien des années entre la composition et la publication d’un livre. Nous avons ici un exemple de l’embarras où l’on jette les lecteurs par des termes de cette année. Où est l’homme qui, lisant Moréri, puisse deviner en quel temps on promettait les autres climats d’Abulfeda ? Cette année-là est bien longue ; elle a régné jusqu’à la sixième édition inclusivement. 5°. Guillaume Postel est le premier qui a apporté en Europe cet ouvrage, dont il publia un abrégé en Latin. Voilà deux nouvelles fautes de Moréri. De tous les auteurs qu’il cite, n’y a que Simler qui ait relation à cela. Or, Simler ne dit autre chose, sinon que Postel, ayant apporté ce livre de l’Orient, laissa à Venise l’a-

  1. * Gravius avait, comme on le voit dans Joly, pris un roi mameluck d’Égypte pour un gouverneur de la province de Hanah en Syrie, et a induit en erreur non-seulement Bayle, mais encore Prideaux, d’Herbelot et de la Roque.
  2. * Bayle n’a point dans son Dictionnaire d’article sous ce titre, ni qui y soit relatif ; il n’y en a même aucun dans ses Œuvres diverses. La Geographia Nubiensis a pour auteur un Africain nommé Edrisi. Son ouvrage, écrit en arabe, fut imprimé dans cette langue à Rome en 1592. Comme on ne connaissait pas encore le nom de l’auteur lors de l’impression de la traduction latine qui fut faite par Gabriel Sionite et J. Hesronite en 1619 à Paris on intitula le volume Geographia Nubiensis, en raison des détails qu’il contient sur l’Afrique.
  1. Pocock., Notæ in Specim. Histor. Arab., pag. 363.