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ABULFEDA.

cours à quelque chose de plus solide (D) que n’est le plaisir d’insulter. On leur répondit qu’ils n’avaient qu’à venir voir l’épreuve qu’on voulait faire, et que, si la pierre nageait sur l’eau, elle serait la véritable. Elle nagea effectivement en présence des karmatiens, et ainsi on racla de tous les esprits les doutes et les scrupules que les railleries de ces profanes pouvaient faire naître [a]. Voilà un petit échantillon de la légende des peuples orientaux.

Vous trouverez beaucoup de choses curieuses touchant les karmatiens et Abudhaher dans la Bibliothéque Orientale de M. d’Herbelot[b]. Il les nomme carmathes, et il écrit Abu Thaher le nom de leur chef.

  1. Pocockii Notæ in Specimen Hist. Arab., pag. 118, 119, ex Abulfeda et Ahmede Ebu Yusef.
  2. Dans l’article Carmath, pag. 256 et suiv.

(A) Des Karmatiens. ] C’est le nom d’une secte qui s’éleva dans l’Arabie, environ l’an 278 de l’hégire[1]. Le premier chef de cette secte fut un blasphémateur et un imposteur qui, attirant dans son parti ceux d’entre les habitans de la campagne et des déserts qui avaient le moins de religion et de lumières, s’acquit une pleine autorité sur eux. On peut voir dans Pocock[2] diverses étymologies du nom des karmatiens. Ils firent peu de chose au commencement, mais ils firent des progrès incroyables. Ils s’emparèrent de la plus grande partie des provinces d’Éraki et de Hejazi ; et se répandirent dans la Syrie, et jusques aux portes du grand Caire[3].

(B) L’an 317 de l’hégire. ] Abulfeda et Ahmed Ebn Yusef marquent cette année, et disent qu’on ne recouvra la pierre qu’en 339 : mais Safioddin abrège le temps : il met l’enlèvement de la pierre à l’an 319, et la restitution à l’an 335[4].

(C) D’une manière si outrée. ] Ahmed Ebn Yusef dit que jamais la religion mahométane n’a souffert une affliction comparable à celle-là[5].

(D) À quelque chose de plus solide. ] Ils avaient espéré d’attirer à eux les caravanes des pèlerins, car ils s’étaient imaginé que ces bonnes gens iraient au lieu où serait la pierre. Voilà pourquoi ils ne voulurent point la mettre à rançon : ils n’écoutèrent ni les prières ni les promesses. Mais, voyant qu’on ne discontinuait point d’aller à la Mecque, et que personne ne venait faire ses dévotions à la pierre qu’ils avaient chez eux, ils la rendirent. Ce ne fut pas sans s’y réserver quelque droit ; car, lorsqu’ils dirent qu’ils n’avaient rendu qu’une fausse pierre, ils prétendirent sans doute jeter des scrupules dans les esprits, et partager pour le moins les pélerinages, tôt ou tard. Ceux de la Mecque en prévirent les conséquences, et s’avisèrent de publier que leur pierre avait passé par l’épreuve et y avait été vérifiée.

  1. C’est notre année 891.
  2. Pocock., Notæ in specimen Histor. Arab., pag. 371. Ce Specimen fut imprimé à Oxford en 1650.
  3. Pocock., Notæ in Specimen Histor. Arab., pag. 371.
  4. Ibidem, pag. 119.
  5. Ibid.

ABULFEDA (Ismael), prince de Hamah, ville de Syrie, succéda à son frère l’an 743 de l’hégire (A), qui répond à l’an 1342 de Jésus-Christ, et mourut trois ans après, à l’âge d’environ soixante-douze ans[a]. Il aimait l’étude, et en particulier celle de la géographie, comme on le peut connaître par l’ouvrage qui a pour titre : Chorasmiæ et Mawaralnahræ, hoc est, regionum extra fluvium Oxum descriptio ex tabulis Abulfedæ Ismaelis, principis Hamah[b]. Il fut imprimé à Lon-

  1. Pocock., dans ses notes sur le Specimen Hist. Arab., pag. 363, dit qu’il naquit l’an 652 de l’hégire.
  2. Le titre arabe signifie Canon, ou plutôt Rectificatio Terrarum, à ce que dit Gravius.