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ABRABANEL.

circonstance si remarquable : ainsi, je conclus que, puisqu’ils n’en parlent pas, l’auteur n’en a point parlé. Or, il n’y a guère d’apparence qu’ayant dit beaucoup de choses qui ne lui pouvaient pas faire autant d’honneur qu’une profession à Padoue, il n’eût rien dit de cette charge, s’il en avait été actuellement revêtu. Et si d’autres que lui en avaient parlé avec quelque fondement, je crois que messieurs de Leipsick ne l’auraient pas ignoré, ni voulu passer sous silence. C’est donc un fait un peu apocryphe, pour ne rien dire de pis.

Joignez à cela que le père Bartolocci, qui a donné une suite exacte des aventures de ce rabbin, ne parle point de cet emploi.

(M)......ni son voyage d’Orient. ] Je le tiens pour faux, par la raison que je viens de rapporter, tirée du silence de ces messieurs ; mais, quand même ce voyage aurait été effectif, M. Moréri ne laisserait pas d’avancer une grande fausseté. Il suppose, en premier lieu, qu’Abrabanel enseignait la langue hébraïque à Padoue, en 1510 ; et, en second lieu, que l’envie de faire éclater sa haine contre les chrétiens l’obligea à passer en Orient pour y vivre avec ceux de sa secte, et que ce fut alors qu’il composa ce grand nombre d’ouvrages que nous avons de lui. Nous avons vu qu’il mourut l’an 1508 : c’est assez pour juger qu’on vient de nous dire des chimères.

(N)......Ce sont des faits Moréri s’est lourdement abusé. Je n’en dis guère moins du voyage d’Allemagne. ] Je n’osais le traiter de faux pendant que j’étais persuadé que don Nicolas Ântonio avait bien cité Buxtorfe : car, en supposant qu’il l’a bien cité, on doit croire qu’Abrabanel a parlé de son voyage d’Allemagne dans son Commentaire sur Pirke Avoth. Profugus ergo is in Germaniam venit, quod ipse ait in Commentariis ad librum Talmudicum Pirke Avoth…. Buxtorfio teste in tractatu de Abreviaturis Hebræorum, pag. 100[1]. Je me réduisais donc à dire, dans cette supposition, qu’il était du moins certain qu’Abrabanel n’alla pas en Allemagne dès qu’il fut exilé des terres du roi catholique, puisqu’en les quittant, il s’embarqua pour le royaume de Naples, et qu’il y arriva quelque temps après. Ainsi je ne laissais pas de trouver encore en faute M. Moréri. Abarbinel, dit-il, fut du nombre des exilés. Il se retira en Allemagne, et puis en Italie. Et j’avais lieu d’être d’autant plus surpris de cette faute, que je savais que don Nicolas Antonio l’avait corrigée après avoir été mieux instruit par le père Bartolocci. Mais, ayant consulté le livre qu’on a cité, j’ai vu que l’auteur ne dit nullement qu’Abrabanel dise qu’il a voyagé en Allemagne. Voici ce que dit Buxtorfe : Hic titulus (Morenu, id est, doctor noster) novus est, infra ducentos annos natus in Germaniâ, indè in Italiam traductus, quod valdè miratus fuit don Isaac Abarbinel ex Hispaniâ in has terras veniens, ut ipsemet scribit in Commentario Pirke Abhoth, cap. 6 [2]. Je ne saurais plus douter que don Nicolas Antonio n’ait mal entendu Buxtorfe ; et c’est une méprise dont il ne s’est pas retracté dans l’endroit où il nous apprend ce que le père Bartolocci lui avait dit concernant Abrabanel. Notez que ce père prouve démonstrativement la fausseté de ce voyage d’Allemagne, duquel, dit-il [3], quelques-uns parlent en citant Buxtorfe. Je ne doute point que cela n’arrête la course de cette fausse citation.

(O) Qu’il témoignait contre les chrétiens en écrivant. ] Ses Commentaires sur l’Écriture, et principalement ceux qu’il a faits sur les prophètes, sont si remplis de venin contre Jésus-Christ, contre l’Église, contre le pape, contre les cardinaux et tout le clergé, et contre tous les chrétiens en général, mais plus encore contre les catholiques romains, que le père Bartolocci aurait voulu que l’on n’en eût point permis la lecture aux Juifs[4]. Aussi remarque-t-il que celle des Commentaires sur les derniers prophètes leur a été interdite, et qu’ils n’osent pas les garder. In his etiam pluribus in locis canino dente christianam religionem mordet et lacerat, ideòque meritò

  1. Nic. Anton. Bibl. Hisp., tom. I, pag. 628.
  2. Buxtorf. de Abbreviat, Hebræor., pag. 115. edit. secund.
  3. Bartoloc., Biblioth. Rabbin., tom. III, pag. 688.
  4. Bartolocci, Biblioth. Rabbin., tom. III, pag. 876, 879.