Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
ABIMELECH.

que quelques années après[a]. Ce fut le traité de Beerscebah. Josephe, comme s’il avait eu des mémoires préférables à ceux de Moïse (C), ose mettre ce traité avant la naissance d’Isaac, au lieu que l’Écriture le met après la réjection d’Ismaël, qui n’advint qu’après qu’Isaac eut été sevré. M. Moréri a suivi le même guide lorsqu’il assure que le même Abimelech témoigna beaucoup de bonne volonté à Isaac, qui s’était retiré au pays de Guérar. Il ne serait pas impossible que ce fût le même Abimelech ; mais il y a beaucoup d’apparence que c’était le successeur de celui qui avait enlevé Sara (D). Ce qu’il y a de bien certain, c’est qu’une famine étant survenue, Isaac se retira en Guérar, où régnait alors un Abimelech. La beauté de Rébecca fut cause que son mari se servit des mêmes ruses qu’Abraham avait employées à cause de la beauté de Sara. Isaac ayant peur qu’on ne le tuât, si l’on venait à savoir qu’il fût le mari de la belle Rébecca, la fit passer pour sa sœur. Abimelech découvrit à un certain jeu (E) qu’il aperçut entre eux deux, en regardant par sa fenêtre, que ce n’était point cela, et ayant fait venir Isaac : Quoi que ce soit, lui dit-il, c’est votre femme ; comment donc avez-vous dit, C’est ma sœur ? Quelle conduite avez-vous tenue ici ! Peu s’en est fallu que quelqu’un du peuple n’ait couché avec votre femme (F), et que vous n’ayez attiré sur nous un crime. En même temps il défendit, sous peine de mort, à tous ses sujets de faire la moindre injure à Isaac ni à Rébecca. Cette remontrance et cette ordonnance ne pouvaient venir que d’un bon cœur, et méritaient bien que nos modernes prissent mieux garde à leurs paroles [b]. La prospérité d’Isaac changea cette bonne amitié d’Abimelech. On lui déclara franchement, lorsqu’on eut vu qu’il acquérait de grandes richesses, qu’il eût à se retirer. Il obéit, et n’ayant pas laissé de prospérer malgré les traverses qu’on lui suscita en divers endroits, à l’occasion des puits qu’il faisait faire, il se vit recherché d’alliance par Abimelech, à quoi il répondit favorablement[c].

  1. Genèse, chap. XXI, vs. 31, 32.
  2. Tursellin, dans son Epit. Hist., pag. 10, édit. de Franeker en 1692, s’est fort abusé dans ces paroles : Isaacus Geraras annonæ causâ profectus, Dei numine conjugis pudicitiam ab Abimelechi regis libidine intactam servat.
  3. Tiré du chapitre XXVI de la Genèse.

(A) Les éloges que saint Chrysostôme lui a donnés. ] Nous toucherons en un autre lieu[1] ce qu’il y a de blâmable dans cette dissimulation d’Abraham. Chacun jugera ce qu’il lui plaira sur la rechute. Le péril que l’honneur de Sara avait essuyé la première fois semble d’abord devoir rendre moins excusable la réitération du mensonge ; mais, d’autre côté, ne semble-t-il pas que l’on est plus excusable lorsqu’on emploie un remède qui a réussi que lorsqu’on l’essaie ? et n’est-il pas hors de doute que le premier essai avait eu tout le succès qu’Abraham avait espéré ? Non-seulement on ne lui ôta point la vie, mais on le combla de présens, et on lui rendit sa femme sans qu’on l’eût touchée : chose à quoi peut-être il ne s’était pas attendu. Je me sers d’un peut-être, car je n’oserais écrire ce que saint Chrysostôme osa prêcher : Vous savez, disait-il à ses auditeurs, que rien ne chagrine plus un mari que de voir sa femme soupconnée d’avoir été au pouvoir d’un autre ; et néanmoins

  1. Dans les remarques de l’article Sara.