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ABELLI.

C’était un état trop violent que celui de continence entre un homme et une femme qui avaient d’ailleurs toutes choses communes, et dont la société était censée un vrai mariage ; c’était, dis-je, un état trop violent pour durer beaucoup ; nullum violentum durabile. Les abéliens n’étaient que des encratites et des novatiens mitigés : ceux-ci condamnaient hautement le mariage ; les abéliens le louaient et le retenaient. Il est vrai que ce n’était presque que de nom : ils en avaient l’apparence ; mais ils en reniaient la force. Hi nomen quidem conjugii et nuptiarum retinuerunt, vim autem et effectum earum prorsùs sustulerunt [1]. S’ils avaient cru que le mariage était un sacrement, ils auraient été sur cet article ce que les zuingliens ont été sur celui de l’eucharistie : ils n’eussent admis que la figure, et point du tout de réalité. Or, c’est ce qui a dû contribuer à l’extinction de la secte. Vous trouverez, dans le dictionnaire de Furetière[2], que

Boire et manger, coucher ensemble,
C’est mariage, ce me semble.


Voilà l’idée naturelle qu’on se forme de cet état ; et, dans cette idée, le dernier des trois attributs passe pour le principal, et pour la différence spécifique. C’est celui-là que l’on nomme la consommation du mariage : sans celui-là le contrat le plus solennel, les fiançailles, la bénédiction nuptiale, ne passent que pour des préliminaires dont on se dégage facilement. C’est celui-là qui serre le nœud et qui le rend indissoluble. C’est la fin, le but et la couronne de l’œuvre ; c’est le non plus ultrà. Il y avait donc peu d’apparence que beaucoup de gens, même après que la nouveauté du dogme serait passée, voulussent avoir le nom et le lien de gens mariés, et se priver de ce que le célibat avait dès lors de plus éclatant, sans goûter les fruits et les délices du mariage. Il n’a donc pas été nécessaire, quand j’ai dit que les principes de cette secte étaient peu propres à la faire durer, que je fisse quelque allusion au bon mot qu’on attribue à Sixte V : Non si chiava in questa religinone, non durarà[3]. Les adoptions y tenaient lieu de générations ; et, à cause de cela, on ne pouvait pas dire des abéliens ce que Florus remarque touchant les premiers habitans de Rome : Res erat unius ætatis, populus virorum[4]. Si d’autres causes ne s’en fussent pas mêlées, cette secte aurait pu durer éternellement : Per sæculorum millia (incredibile dictu) gens æterna est in quâ nemo nascitur. C’est ce que Pline a dit des esséniens[5], et ce que l’on dit tous les jours des moines.

  1. Danæus in lib. Augustini de Hæres., cap. LXXXVII.
  2. Furetière, au mot Mariage.
  3. Confess. cathol. de Saucy, liv. I, chap. I.
  4. Florus, lib. I, cap. I.
  5. Plinius, lib. V, cap. XVII.

ABELLI (Antoine), docteur en théologie, jacobin, abbé de Notre-Dame de Livri en l’Aulnoi, confesseur de la reine mère, et auparavant son prédicateur, fit imprimer des Sermons sur les lamentations de Jérémie, à Paris, l’an 1582. Je ne fais que copier la Croix du Maine et du Verdier-Vau-Privas ; et si je ne corrige point les fautes qu’ils peuvent avoir commises au moins proposerai-je mes doutes (A). Si M. Moréri en avait fait autant, peut-être saurait-on aujourd’hui la vérité ; car rien ne pousse davantage les curieux à faire part au public de leurs éclaircissemens que l’aveu que font les auteurs qu’ils ne savent pas telle ou telle chose. C’est ce qui m’obligera à proposer souvent mes doutes. M. Moréri avait tant d’occasions, que je n’ai pas, de consulter ceux qui pouvaient rectifier ces sortes de choses, qu’il devait plus faire ici que copier la Croix du Maine.

(A) Proposerai-je mes doutes. ] Il me paraît un peu étrange qu’un jacobin jouisse d’une abbaye, et qu’on lui en donne le nom. Je ne connais point de pays en France qui s’appelle l’Aulnoi. Si l’on a voulu dire le Laonais, c’est une autre chose : mais d’ailleurs, je ne trouve aucune ab-