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VIE DE M. BAYLE.

més, et justifient sans réplique les voies dont on s’était servi pour les ramener. Cette lettre est la première des trois. Dans la troisième, le réfugié répond au chanoine avec beaucoup de douceur et de modération. Il condamne les saillies et les expressions hyperboliques de son ami : il avoue qu’il y avait en France une infinité d’honnêtes gens, et même des prêtres et des moines, qui avaient généreusement compati aux misères des réformés, et leur avaient rendu de bons offices ; et que son ami avait tort de dire qu’il ne s’était trouvé en France un seul honnête homme ; mais à l’égard des convertisseurs, il les abandonnait à tous les traits de la plume de son confrère, et à toute l’étendue de ses invectives, aussi-bien que ces écrivains catholiques qui niaient qu’on eût employé la violence contre les réformés. Il lui fait là-dessus quelques questions assez vives ; et dit qu’ayant représenté à son ami le grand nombre d’honnêtes gens qu’ils avaient trouvés parmi les catholiques de France, il lui avait soutenu que tous ces honnêtes gens avaient agi en cela, non pas comme catholiques simplement, mais comme français ; et qu’il faut faire plus de fonds sur un homme, en tant qu’instruit des règles de la civilité et de l’honnêteté française, qu’en tant qu’instruit par son curé dans le catéchisme de sa religion. Il ajoute qu’il s’était moqué de cette distinction, mais que son ami lui avait montré un cahier traduit de l’anglais, où cette pensée se trouvait. « Il y a ici, dit-il [1], un savant presbytérien bon philosophe, qui a fait un commentaire philosophique sur ces paroles de la parabole, Contrains-les d’entrer, lequel commentaire n’est pas encore imprimé. On le traduit en notre langue. On m’en a prêté quelques cahiers que j’ai lus avec un singulier plaisir. Les Anglais sont les gens du monde qui ont l’esprit le plus profond et le plus méditatif. Je ne pense pas que jamais on ait mieux prouvé que toute contrainte est vicieuse et contraire à la raison et à l’Évangile en matière de religion. Saint Augustin, et les deux lettres auxquelles on nous renvoie, y sont abîmés : on lui fait voir que s’il n’avait pas mieux raisonné contre les hérétiques de son siècle que pour les persécuteurs, les conciles qui ont condamné Pélage sur le rapport, et ouï sur ce les conclusions de saint Augustin, auraient bien été faciles à contenter ou à mécontenter. Je hâterai le plus qu’il me sera possible la traduction et l’impression de cet ouvrage. Je suis sûr qu’il se trouvera bien des catholiques qui l’approuveront nonobstant l’esprit dominant de votre robe. »

Le livre qu’on annonce ici est intitulé : Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ, Contrains-les d’entrer, l’on prouve par plusieurs raisons démonstratives qu’il n’y a rien de plus abominable que de

  1. Ce que c’est que la France toute catholique, p. 125.