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VIE DE M. BAYLE.

très-amère de la conduite qu’on avait tenue en France à l’égard des réformés. On y accuse tous les catholiques français sans exception d’avoir eu part à la persécution : on fait un portrait affreux de l’église romaine ; la mauvaise foi et la violence, dit-on, en sont le véritable caractère : on reproche aux convertisseurs leurs artifices ridicules, et leurs chicaneries basses et grossières ; on se plaint de l’injustice des arrêts, et particulièrement de celui qui permettait aux enfans de sept ans de faire choix de la religion catholique ; on montre la fausseté des raisons alléguées dans l’édit qui révoque celui de Nantes ; on fait une vive peinture de la dragonnade ; on représente les sermens des catholiques, en tant que catholiques, comme une pure momerie ; on se moque de leur prétendu zèle ; on attribue au clergé catholique la ruine de la religion chrétienne ; on compare la conduite des convertisseurs à celle des païens qui persécutaient les chrétiens ; on accuse les catholiques d’avoir rendu le christianisme odieux aux autres religions, et on soutient que les lois de l’humanité, et cette charité générale que nous devons à tous les hommes, obligeaient un honnête homme à faire savoir à l’empereur de la Chine ce qui venait de se passer en France, et à l’avertir que les missionnaires, qui ne demandaient d’abord que d’être soufferts, n’avaient pour but que de se rendre les maîtres, et qu’il ne pouvait pas compter sur la fidélité de leurs prosélytes. Enfin, on dit que les prêtres et les moines portent la discorde, la sédition, et la cruauté par-tout où ils vont. Voilà une idée générale de cette lettre.

On verra sans doute avec plaisir le jugement qu’en fit M. Bayle dans son journal. « On y trouvera sans doute, dit-il [1], trop de feu, et trop d’essor d’imagination ; mais la beauté des pensées, et le fondement solide qu’elles ont quant à la substance du fait, feront excuser apparemment ce qui peut y être d’excessif. Assurément on y dit aux convertisseurs de France de quoi leur faire sentir une vive confusion, si leur métier souffrait qu’ils fussent sensibles à quelque chose. Le tour qu’on prend, et le vif dont on l’accompagne depuis le commencement jusqu’à la fin, feront trouver à peu de lecteurs cette pièce longue, quand même elle le serait. »

C’est ainsi qu’en parlait M. Bayle, feignant de n’en connaître point l’auteur. Le chanoine, piqué de cette lettre, l’envoie à un autre réfugié de Londres, ami de l’auteur, et le prie de lui en dire son sentiment. Il l’assure : qu’il rendra grâces à Dieu d’avoir béni les voies douces et charitables dont on s’était servi contre une religion rebelle à Dieu et à l’église, et qu’il tâchera par ses prières d’obtenir la grâce de sa conversion. Enfin, il l’exhorte à lire les lettres de saint Augustin, qui font voir, dit-il, l’injustice des plaintes des réfor-

  1. Nouvelles de mars 1686. Art. III des livres nouveaux, p. m. 346.