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VIE DE M. BAYLE.

grand homme. « Ce n’est pas la première fois, dit-il [1], que l’illustre M. Paets, auteur de la lettre dont nous venons de parler, a raisonné fortement sur le chapitre de la tolérance. Il y a quelques lettres de sa façon sur cette même matière dans le recueil des Præstantium ac eruditorum virorum epistolæ, imprimé d’abord in-4o, et réimprimé in-fol., à Amsterdam en l’année 1684. Ce sont de beaux monumens de son éloquence et de la solidité de son esprit. Il aurait pu très-facilement en produire de beaucoup plus considérables, s’il avait voulu devenir auteur ; car il était grand théologien, grand jurisconsulte, grand politique et grand philosophe ; il concevait les choses fort heureusement, et il les approfondissait d’une manière surprenante ; jamais homme ne raisonna plus fortement, ni ne donna un tour plus majestueux à ce qu’il avait à dire : mais il était né pour de plus grandes occupations que pour celle d’être auteur. L’ambassade extraordinaire d’Espagne, qu’il soutint et avantageusement pour sa patrie consternée des grands progrès de la France, a fait connaître ce qu’il pouvait dans les affaires d’état. Quelle perte qu’un si grand homme n’ait pas vécu davantage ! À peine avait-il atteint 55 ans lorsqu’il mourut le 8 du mois d’octobre de la présente année 1685 ; aussi recommandable par son intrépidité, par sa probité, par sa générosité, par sa bonne foi, et par toutes les autres qualités qui font l’honnête homme, que par son grand esprit et par sa profonde érudition. C’est comme journaliste de la république des lettres que je suis obligé de parler ainsi. Mais que n’aurais-je pas à dire si je parlais selon les sentimens de reconnaissance dont je suis tout pénétré pour les bienfaits que j’ai reçus de cet illustre défunt ! »

M. Bayle se trouva alors engagé dans une dispute avec M. Arnauld, au sujet du père Mallebranche. Ce docteur, dans ses Réflexions philosophiques et théologiques sur le nouveau système de la nature et de la grâce du père Mallebranche, avait vivement combattu le sentiment de ce père, que tout plaisir est un bien, et rend actuellement heureux celui qui le goûte. M. Bayle, faisant l’extrait de cet ouvrage de de M. Arnauld, se déclara pour le père Mallebranche. « Il n’y a rien, dit-il [2], de plus innocent ni de plus certain que de dire que tout plaisir rend heureux celui qui en jouit pour le temps qu’il en jouit, et que néanmoins il faut fuir les plaisirs qui nous attachent aux corps... Mais, dira-t-on, c’est la vertu, c’est la grâce, c’est l’amour de Dieu, ou plutôt c’est Dieu seul qui est notre béatitude. D’accord en qualité d’instrument ou de cause efficiente, comme parlent les philosophes ; mais en qualité de cause formelle, c’est le plaisir,

  1. Art. II, pag. 1093, 1094, de la troisième édition.
  2. Nouvelles du mois d’août 1686, art. II, p. m. 876.