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VIE DE M. BAYLE.

toujours favorisé les belles-lettres. « Ce qu’elle a fait depuis trois ans, ajouta M. Bayle [1], est une preuve bien sensible de son inclination pour les sciences. On voit bien que je veux parler de l’École illustre que messieurs les magistrats de Rotterdam eurent la générosité de fonder en l’année 1681. Si le public recevait quelque instruction et quelque délassement utile de ces Nouvelles de la République des Lettres ce serait à ces messieurs qu’on en serait redevable, puisque c’est d’eux que je tiens cette douce tranquilité de vie qui me permet de soutenir ce rude travail. C’est à l’ombre de ce glorieux sénat que se composent ces recueils, ille nobis hæc otia fecit, et je suis bien aise de trouver ici naturellement une occasion favorable de témoigner ma reconnaissance et de protester que si l’on dit quelque chose à l’avantage de ces Nouvelles, je le consacre entièrement à la gloire de cette ville. »

Le 8 de mai 1685, M. Bayle apprit que son père était mort le samedi 30 du mois de mars précédent. C’était une nouvelle bien affligeante ; mais sa douleur redoubla lorsqu’il fut informé que son frère aîné était détenu prisonnier pour cause de religion. M. l’évêque de Rieux ignora ce qu’était devenu M. Bayle jusqu’à ce que la Critique générale de l’Histoire du calvinisme fît du bruit en France, et qu’on sût qu’il en était l’auteur. Cet ouvrage renouvela le chagrin qu’on avait eu de son évasion lorsqu’il était à Toulouse, et de son retour à la religion réformée. On avait cherché plusieurs fois à s’en venger sur son frère ; mais la conduite sage et prudente de ce ministre l’avait toujours dérobé aux poursuites de ses ennemis. Enfin on s’adressa à M. de Louvois, homme violent et vindicatif, qui faisait alors exercer des cruautés inouïes contre les réformés de plusieurs provinces. M. de Louvois, qui s’était offensé de quelques traits de la Critique générale sur la conduite qu’on tenait à l’égard des réformés, ordonna que M. Bayle, ministre du Carla, fût arrêté. On envoya chez lui une troupe d’archers. qui l’arrachèrent de son cabinet, et le conduisirent dans les prisons de Pamiers le 11 de juin. De là il fut transféré, le 10 de juillet, à Bordeaux au Château-Trompette, et mis dans un cachot puant et infect. On voulait qu’il abandonnât sa religion ; mais ni les promesses, ni les menaces, ni les outrages, ne furent pas capables de l’ébranler. Il fit paraître une constance et une fermeté qui étonna ses persécuteurs ; il louait Dieu de l’avoir appelé à souffrir pour la vérité. La délicatesse de son tempérament ne fut pas à l’épreuve d’un traitement si inhumain ; il mourut le 12 de novembre, après cinq mois de prison. C’est ainsi qu’il [2] « couronna la piété qu’il avait témoignée doute sa vie par une très-belle mort, qui fut admi-

  1. Art. VIII, p. m. 312.
  2. Cabale chimérique, p. 313.