Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T16.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
VIE DE M. BAYLE.

disant franchement leurs griefs sur mes petites productions. J’ai été à l’essai sur cela, et je puis dire par expérience que je ne sens pas le moindre chagrin de leurs censures. »

Cette suite n’eut pas le même, succès que la Critique générale. Tout ce que M. Bayle avait dit dans la préface pour faire sentir la différence qu’il y avait entre ces deux ouvrages, et pour donner une juste idée de celui-ci, fut inutile. On n’y fit aucune attention. On ne voulut même pas entendre ce qu’il avait dit dans la IXe. lettre touchant les droits de la conscience errante et les erreurs de bonne foi, quoiqu’il eût pris toutes les précautions possibles pour se bien expliquer. Il s’en plaignit six mois après dans les Nouvelles de la République des Lettres, à l’occasion de quelques plaintes du père Mallebranche sur la négligence des lecteurs. « Il faut avouer, dit-il [1], que la plupart des lecteurs sont d’étranges gens ; on a beau les avertir de mille choses, on a beau leur recommander ceci ou cela avec de très-humbles prières, ils n’en suivent pas moins leur humeur et leur coutume. On a fait des historiettes sur les précautions inutiles des mères et des maris. Je m’étonne qu’on n’en fasse sur celles de messieurs les auteurs. J’en connais un dont l’ouvrage n’est sorti de dessous la presse que depuis six mois, qui n’avait rien oublié pour se garantir des jugemens téméraires ; sa préface avait donné des avis fort essentiels, et dans les lieux où il se défiait du lecteur, il avait marqué expressément qu’on prendrait le change si on n’examinait bien tout de suite ce qu’il disait ; il avait même porté ses précautions jusqu’à marquer en gros caractères son véritable sentiment, et à menacer en quelque façon ceux qui s’y méprendraient qu’ils seraient inexcusables. Tout cela n’a de rien servi ; il n’a pas laissé d’apprendre que des gens, même du métier, ont donné dans le panneau qu’il avait pris tant de soin de faire éviter. »

M. Bayle commença la seconde année de ses Nouvelles de la République des Lettres, c’est-à-dire le mois de mars 1685, par une addition dans le titre qui les tira du nombre des livres anonymes ; il y ajouta ces paroles : par le sieur B..., professeur en philosophie et en histoire à Rotterdam. Il y joignit un avertissement où il dit qu’il avait cru devoir faire connaître distinctement au public le lieu où ces Nouvelles étaient composées, afin qu’on vît que messieurs de Rotterdam honoraient les Muses de leur protection, et que cet ouvrage venait de la plume d’un des professeurs qu’ils avaient établis dans leur nouvelle École illustre ; et il déclare que s’il ne le leur dédie pas selon les formes accoutumées, il ne laisse pas de le leur consacrer tout entier. Il s’exprima encore plus fortement dans un des articles de ce mois de mars, en donnant l’extrait d’un livre où l’on remarquait que la ville de Rotterdam avait

  1. Juillet 1685, art. VIII, p. m. 780, 781.