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VIE DE M. BAYLE.

de ses larmes. M. Bayle l’aîné ne put retenir les siennes, et, l’ayant relevé, il lui parla d’une manière si touchante, que le jeune Bayle ne songea qu’à lui découvrir le fond de son cœur, en lui marquant l’impatience qu’il avait de quitter Toulouse et de renoncer aux erreurs qui l’avaient séduit. Cependant, comme son évasion devait sans doute irriter M. l’évêque de Rieux et les pères jésuites, on crut qu’il fallait garder certains ménagemens qui firent différer de quelques jours le départ de M. Bayle. Ce fut au mois d’août de l’année 1670 qu’il exécuta son dessein.

Il sortit secrètement de Toulouse [1], où il avait demeuré dix-huit mois, et se retira auprès de Mazères dans le Lauraguais, à une maison de campagne de M. du Vivié, à six lieues de Toulouse et à trois de Carla. Son frère aîné s’y rendit le lendemain avec quelques ministres du voisinage ; et le jour suivant [2] il fit son abjuration entre les mains de M. Rival, ministre de Saverdun, et en présence de son frère aîné, de M. Guillemat, ministre de Mazères, et de M. Rival, ministre de Calmont, et neveu du ministre de Saverdun. Le même jour on le fit partir pour Genève (B).

M. Bayle y arriva le 3 de septembre, et y reprit le cours de ses études. Il avait appris chez les jésuites la philosophie péripatéticienne ; et, comme il la possédait bien, il la défendait avec beaucoup de chaleur [3]. Cependant il crut devoir examiner la philosophie de Descartes, qu’on professait à Genève ; et il ne fut pas long-temps sans préférer les principes raisonnés de la nouvelle philosophie aux vaines subtilités des sectateurs d’Aristote. M. Bayle avait trop de talens pour n’être pas bientôt distingué à Genève. La manière avantageuse dont on parlait de lui fit que M. de Normandie, syndic de la république, le pria de se charger de l’éducation de ses enfans, à quoi il consentit [4]. M. Basnage, qui étudiait alors à Genève, logeait chez M. de Normandie, et ce fut là que M. Bayle fit connaissance avec lui et que se forma entre eux cette étroite liaison qui a duré jusqu’à la mort. M. Bayle contracta aussi avec M. Minutoli une amitié qui fut toujours cultivée par une correspondance que ni le temps ni l’éloignement des lieux ne fit jamais négliger. Il eut encore des liaisons particulières avec messieurs Pictet et Leger, qui ont été professeurs en théologie dans l’Académie de Genève, et s’acquit l’estime et la bienveillance de plusieurs personnes distinguées dans l’état et dans l’église, tels qu’étaient M. Fabry, syndic ; MM. Turretin, Mestrezat, Burlamachi, Sartoris, etc.

Quelque temps après, la place d’un des premiers régens du collége venant à vaquer, on jeta les yeux sur lui pour la remplir. Dans le dessein de s’en rendre

  1. Le 19 d’août.
  2. Le 21 d’août.
  3. Chimère de la cabale de Rotterdam démontrée, etc., pag. 144, 145.
  4. Il entra chez M. de Normandie le 21 de novembre.