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VIE DE M. BAYLE.

taines expressions qui lui faisaient craindre que son frère n’eût pris avec la religion romaine l’esprit d’aigreur qu’elle inspire à ses dévots. Son père, plus indulgent, les attribua à quelque convertisseur qui avait dicté la lettre. Il dit qu’il ne reconnaissait point là son fils, et qu’il espérait de le voir bientôt rentrer dans le bon chemin.

On avait envoyé à Toulouse M. Naudis de Bruguière, son cousin-germain, jeune homme qui avait beaucoup d’esprit et de pénétration. Il logeait dans la même maison où M. Bayle demeurait. Ils disputaient souvent de religion ; et après avoir poussé vivement les objections qu’on peut faire de part et d’autre, ils les examinaient de sang-froid. M. Naudis savait bien sa religion : l’étroite amitié qu’il y avait entre eux bannissait l’aigreur de la dispute, la rendait plus libre, et l’examen plus impartial. Ces disputes familières, que le simple hasard semblait faire naître, embarrassaient souvent M. Bayle et lui rendaient suspects certains dogmes de l’Église romaine ; de sorte qu’il s’accusait quelquefois intérieurement de les avoir embrassés sans les avoir assez connus. Car il regardait l’examen en fait de religion comme un devoir indispensable ; comme le seul moyen de s’assurer de la vérité, et par conséquent le seul de connaître la volonté de Dieu, et de se mettre en état de la suivre. Il se confirmait d’autant plus dans ces sentimens, que, quelque soumission que l’Église romaine exigeât, c’était pourtant par la voie de l’examen qu’on avait voulu opérer sa conversion.

Dans ces temps-là, M. Pradals de Larbon vint à Toulouse. C’était un de ces hommes dont l’esprit, l’enjouement et les manières gagnent d’abord l’affection de ceux qui les voient. Aussi était-il recherché avec empressement des personnes les plus distinguées de la province. M. Bayle le père l’avait prié de voir son fils toutes les fois qu’il irait à Toulouse : il espérait que M. de Pradals s’attirerait bientôt la confiance du jeune Bayle ; et, en effet, il y réussit si bien, que M. Bayle lui avoua un jour qu’il croyait avoir été un peu trop vite dans le nouveau parti qu’il avait pris, et qu’il trouvait à présent plusieurs choses dans la religion romaine qui lui paraissaient contraires à la raison et à l’Écriture. M. de Pradals, charmé de cet aveu, en informa d’abord la famille de M. Bayle, et ce fut pour elle un sujet de joie inexprimable. On résolut de lui envoyer son frère aîné, et on pria M. de Pradals de leur ménager une entrevue. M. Bayle l’aîné étant allé à Toulouse avec M. de Pradals, celui-ci invita le jeune Bayle à dîner, ainsi qu’il avait accoutume de faire. Après qu’il se fut entretenu quelque temps avec lui, et que les domestiques se furent retirés, M. Bayle l’aîné, qui était dans un cabinet, en sortit et se présenta devant son frère. Tout ce que la joie, et la douleur, et la surprise, ont de plus fort, saisit le jeune Bayle et ne lui permit pas de parler. Il se jeta aux genoux de son frère et les arrosait