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VIE DE M. BAYLE.

perdu ; et les progrès qu’il faisait à Puylaurens n’étant pas à son gré assez rapides, il résolut de quitter cette académie pour aller à Toulouse, qui est une des plus célèbres universités de France. Il y arriva au mois de février 1669 [1]. Il se logea dans une maison particulière, et allait entendre les leçons de philosophie qui se faisaient dans le collége des jésuites : il n’y avait rien là d’extraordinaire. Les réformés envoyaient souvent leurs enfans étudier chez les jésuites, quoique cela eût été défendu par les synodes. Cependant le séjour de Toulouse eut des conséquences affligeantes pour la famille de M. Bayle : il changea de religion. La lecture qu’il avait faite à Puylaurens de quelques livres de controverse l’avait déjà ébranlé ; ses doutes augmentèrent à Toulouse par les disputes qu’il eut avec un prêtre qui logeait en même maison que lui. Il se crut dans l’erreur, parce qu’il ne pouvait répondre aux raisonnemens qu’on lui faisait, et un mois après son arrivée à Toulouse, il embrassa la religion romaine [2]. Il fut immatriculé, et dès le lendemain il reprit l’étude de la logique.

La nouvelle de son changement pénétra de douleur toute sa famille, et particulièrement son père de qui il était tendrement aimé. M. Bertier, évêque de Rieux, jugeant bien qu’après cette démarche le jeune Bayle ne devait pas s’attendre à recevoir aucun secours de ses parens, se chargea généreusement de son entretien. M. Bayle en marque sa reconnaissance dans une lettre qu’il écrivit, en 1693, à M. Pinson, avocat au parlement de Paris (A) [* 1].

On se fit beaucoup d’honneur, à Toulouse, de l’acquisition d’un jeune homme qui donnait de si grandes espérances, et dont le mérite était relevé par la qualité de fils de ministre.

1670.

Lorsque son tour vint de soutenir des thèses publiques, on voulut que la solennité s’en fit avec éclat. Les personnes les plus distinguées du clergé, du parlement et de la ville, s’y trouvèrent : l’université n’avait jamais vu un auditoire si auguste et si nombreux. Les thèses étaient ornées du portrait de la Vierge [3], à qui elles étaient dédiées ; et ce portrait était accompagné de plusieurs figures emblématiques qui désignaient la conversion du répondant. La clarté, la pénétration et la modestie avec lesquelles il répondit, lui attirèrent un applaudissement universel,

M. Ros de Bruguière, un de ses oncles maternels, marié à une demoiselle catholique, s’étant trouvé à Toulouse lorsque M. Bayle soutint ses thèses, en porta un exemplaire au Carla, et madame Ros de Bruguière en para sa chambre. Le père de M. Bayle, étant venu voir M. Ros de Bruguière, on lui apprit la manière dont son fils s’était distingué dans cette dispute pu-

  1. * Les notes indiquées par une lettre capitale sont renvoyées à la fin de la Vie de Bayle.
  1. Le 19 de février.
  2. Le 19 de mars.
  3. Qui tenait l’enfant Jésus entre ses bras.