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VIE DE M. BAYLE.

entre les mains de M. Bayle, qui y ajouta deux pages au commencement, et le fit imprimer, en 1687, sous le titre qu’on vient de voir [a]. M. Jurieu fit condamner ce livre par le synode, et persécuta si violemment M. Papin, qu’il le força de retourner en France, et de se jeter entre les bras de M. l’évêque de Meaux. M. Bayle en parle dans une de ses lettres à M. Minutoli. « Vous savez, dit-il [b], que Papin s’est révolté, ce qu’il n’aurait pas fait si la réfutation qu’il a faite d’un livre de notre faux prophète ne l’eût exposé à la persécution violente de ce fanatique, qui, ne pouvant disconvenir des contradictions et des sophismes dont Papin l’avait convaincu, se vengea en écrivant partout qu’on se gardât bien de donner de l’emploi au sieur Papin ; que c’était un dangereux hérétique, etc. Papin eut beau chercher du pain en Allemagne, en Hollande, en Angleterre, il y trouva partout la porte fermée, par les menées de son ennemi. Ainsi la faim le fit retourner en France, où il a remis à M. l’évêque de Meaux les lettres que M. Burnet lui avait écrites en approbation d’un livret intitulé, La foi réduite à ses véritables bornes [c]. »

Lorsque M. Jurieu se trouvait dans l’impossibilité d’accuser d’hérésie ceux à qui il voulait du mal, il tâchait de les rendre suspects au gouvernement, et les représentait comme des malintentionnés. Il soupçonna M. le Gendre, ministre à Rotterdam, d’être auteur d’un écrit sur les petits prophètes du Dauphiné, et, sur ce soupçon, il l’accusa devant son consistoire d’entretenir des correspondances en France, et d’avoir une haine secrète contre l’état ; mais M. le Gendre lui en demanda réparation, et déclara qu’il le tenait pour un calomniateur et un malhonnête homme. Cette déclaration fut mise par écrit, signée et livrée au consistoire. M. Jurieu recula autant qu’il put ; mais M. le Gendre le pressa sans quartier, et il fut forcé à acquiescer honteusement. Son accusation fut lacérée en sa présence, et de son consentement [d]. Sa haine s’étendait jusque sur les parens et sur les amis de ceux qu’il haïssait, quoiqu’ils n’eussent jamais rien eu à démêler avec lui. Il les dénonçait aux ministres d’état comme des traîtres et des espions de la France. Sans respect pour la confiance, qui fait le lien de la société civile, il publiait dans ses libelles tout ce qu’on lui rapportait ou qu’on lui écrivait ; et lorsqu’il avait pris en aversion ceux qui avaient été ses amis, il employait contre eux ce qu’ils lui avaient dit en confidence [e],

Voici encore quelques traits du portrait de M. Jurieu : c’est M. de Bauval qui le peint.

« M. Jurieu, dit-il [f], a porté en tous lieux le trouble et la division. Sa main a toujours été contre tous, et celle de tous contre lui. La discorde entra avec lui dans l’académie de Sedan. Il la partagea en brigues et en cabales. Ceux qui présagèrent ce que l’on devait attendre de lui, par sa première démarche, lorsqu’il fut installé dans la chaire de Rotterdam, n’ont point mal auguré. Il prêcha sur ces paroles : Oh ! que les pieds de ceux qui annoncent la paix sont beaux ! et en descendant de chaire, il intenta procès à son collègue pour le pas ; il eut pourtant la confusion de succomber dans cette querelle de préférence et de vanité. Depuis quelques années M. Jurieu a mis tout en combustion parmi nous ; son esprit vain et ambitieux a porté partout le flambeau de la guerre.

» Bella gerimus nullos habitura triumphos.


» Il a divisé la nation française, que

    dans la Lettre pastorale aux fidèles de Paris, d’Orléans et de Blois, etc., p. 6, col. 1.

  1. Préface du livre de M. Papin, intitulé Les deux voies opposées en matière de religion ; etc., p. xj, xij, de l’édit. de Liège, 1713.
  2. Lettre du 11 de novembre 1692, pag. 474, 475.
  3. L’évêque de Meaux a inséré deux de ces lettres dans son VIe. avertissement aux protestans, intitulé : l’Antiquité éclaircie sur l’immutabilité, et sur l’égalité des trois personnes, l’état présent de la religion protestante, contre le tableau de M. Jurieu ; Paris, 1691, in-4o., pag. 823.
  4. Bauval, Considérations sur deux sermons de M. Jurieu, etc., p. 30, 31 et 37.
  5. Ibid, p. 53, 54.
  6. Ibid., p. 7.