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VIE DE M. BAYLE.

comme il vient de faire, si je ne l’avais évité, lors même qu’il se présentait naturellement. Ai-je fait remarquer toutes les taches que M. de Meaux et le père de Sainte-Marthe ont fait observer dans ses ouvrages ? L’un n’a-t-il pas relevé avec de grands étonnemens, que M. Jurieu, ne pouvant fixer le temps de la chute de l’antechrist, en eût [* 1] apporté cette raison : que Dieu en matière de prophéties n’y regarde pas de si près ? L’autre ne lui a-t-il pas reproché un certain [* 2] chapitre de l’accomplissement des prophéties qui porte ce beau titre : Arrangement de ce que le Saint-Esprit a dérangé dans les visions. D’autres n’ont-ils pas crié avec chagrin contre sa Religion des jésuites ? Là, après avoir rapporté un motet, où l’on fait dire par le roi de France à Jacques II, qui venait d’abandonner ses trois royaumes, Sieds-toi à ma dextre jusqu’à ce que j’aye mis tes ennemis sous le marchepied de tes pieds ; M. Jurieu reprend sur le ton badin : Voilà une admirable métamorphose ! Le roi est devenu Dieu le père, le roi d’Angleterre est devenu Dieu le fils : afin que cette trinité soit complète, je suis d’avis que nous fassions du prince de Galles le Saint-Esprit. Il avait fait une plaisanterie à peu près pareille, en trouvant cette ressemblance entre Jésus-Christ et le prince de Galles ; que comme Joseph, mari de le Vierge, n’était pas le vrai père du premier Jésus, Jacques II, mari de la reine, pourrait bien aussi n’être pas père du second. »

Ces expressions, peu édifiantes et peu respectueuses pour la religion, furent dénoncées aux synodes. Les auteurs de la Réponse a la seconde apologie de M. Jurieu, en firent un article exprès, sous le titre de Profanations de M. Jurieu, et en donnèrent plusieurs exemples, entre autres ceux-ci [a] : Les apôtres n’imitaient pas ces opérateurs qui, arrivés dans un lieu, la première chose qu’ils font, c’est de faire quelque coup de leur métier, etc. Les disciples d’Aristote doivent être bien surpris de voir que le Verbe éternel est devenu cartésien sur ses vieux jours. M. Saurin, dans son Examen de la théologie de M. Jurieu, remarque qu’à cette raillerie on pourrait ajouter celle-ci, qui lui ressemble fort : Dieu peut-il faire ce miracle ? peut-être croient-ils que non, et que désormais il est trop vieux pour faire des choses grandes et extraordinaires [b].

(Q p.160.) M. Jurieu s’était acquis une espèce de domination sur les réfugiés. ] Voici quelques-uns de ses exploits. Il s’érigea en inquisiteur de la foi, et attaqua plusieurs ministres français, dont la plupart étaient réfugiés en Hollande. Il les accusa de socinianisme, et les dénonça aux synodes. Tout leur crime était d’avoir des sentimens de modération : mais la tolérance était, selon lui, la plus grande de toutes les hérésies. C’est par-là qu’il persécuta cruellement M. Huet [c]. Il dénonça comme hérétiques ou auteurs d’hérétiques, M. de la Conseillère, ministre de Hambourg, M. Jaquelot, M. Papin, etc. M. Papin était neveu de M. Pajon, et avait les mêmes sentimens que lui sur les matières de la grâce [d]. Il les défendit contre M. Jurieu, dans un ouvrage qui a pour titre, Essais de théologie, etc. M. Jurieu résolut de le perdre. Il prit pour prétexte un petit livre de M. Papin, intitulé La foi réduite à ses véritables principes, et renfermée dans ses justes bornes. Cet ouvrage tendait au même but que celui de M. Dhuisseau [e], c’est-à-dire, à réunir les chrétiens en les ramenant aux principes fondamentaux de la religion, et à leur inspirer un esprit de tolérance sur les matières controversées. Il fut publié sans la participation de M. Papin. Le manuscrit s’en trouva dans le cabinet d’un homme distingué par son rang et par son mérite [f], et il fut mis

  1. (*) Acc. des proph., t. II, ch. 12, prem. édit.
  2. (*) Ibid., tom. II, chap. 2, prem. édit.
  1. Examen de la doctrine de M. Jurieu. Pour servir de réponse à un libelle intitulé : Seconde apologie de M. Jurieu, p. 19 et suiv.
  2. Examen de la théologie de M. Jurieu, tom. I, p. 332.
  3. Voyes ci-dessus, rem. (G).
  4. Voyez ci-dessus, rem. (C).
  5. Voyez la même rem.
  6. Lettre de M. Papin à M. Jurieu, insérée