Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T16.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
254
VIE DE M. BAYLE.

soin. Il déclare que son but a été de faire voir qu’il ne faut point renoncer à la raison pour admettre la religion. Or tout le monde savait que ceux qui admettent la trinité, et les autres mystères de l’Évangile se croient très-raisonnables, et que bien loin de renoncer à la raison, ils se fondent sur les axiomes philosophiques qui ont le plus haut degré d’évidence et de certitude. Ils se fondent sur ce que Dieu ne peut tromper ni être trompé, et que par conséquent il doit être toujours cru sur sa parole ; et ils emploient la raison pour discerner le vrai sens de l’Écriture. On savait aussi que ce n’était pas un juste sujet de rejeter une doctrine, que de voir qu’elle est exposée à de très-grandes difficultés, et que la prééminence de la nature divine ne nous permet pas de la soumettre aux mêmes devoirs qui lient les hommes les uns aux autres. Toutes ces vérités sont très-connues, et ce n’est pas ce qu’on attend de ceux qui promettent de faire voir la conformité de la foi avec la raison. On s’attend qu’ils montreront que nos systèmes théologiques sont unis à la raison par les maximes mêmes qu’elle fournit à l’ennemi et qui sont le fondement des objections, et que la solution qu’ils donneront découvrira le lien qui joint ensemble ces maximes philosophiques et ces hypothèses théologiques. Mais c’est ce que M. Jaquelot n’a point fait. Il a été si effrayé du plan d’accommodement qu’on lui marquait entre sept propositions théologiques et dix-neuf propositions philosophiques, qu’il n’a osé s’en approcher ; il n’a pu prendre d’autre parti que de dire que ces dix-neuf propositions « sont des maximes fausses, dont on ne doit faire aucun usage dans la question dont il s’agit [1]. » M. Bayle avait avoué qu’il fallait renoncer aux notions communes de la bonté et de la sainteté, quand il est question de juger de la providence de Dieu à l’égard du mal. Cet aveu avait fait de la peine à plusieurs personnes. C’est là-dessus que M. le Clerc s’était fondé pour accuser M. Bayle de détruire la religion. Mais puisque M. Jaquelot récuse aussi les notions communes, et qu’il affirme que les damnés souffriront éternellement, il se doit croire enveloppé dans l’accusation de M. le Clerc, comme complice des prétendues impiétés de M. Bayle. On tire de là une nouvelle preuve qu’il n’y a rien de plus trompeur que le titre du premier ouvrage de M. Jaquelot : Conformité de la foi avec la raison, ou défense de la religion contre les principales difficultés répandues dans le Dictionnaire de M. Bayle. Pour rectifier ce titre, il faudrait y faire ce changement : Conformité imparfaite de la foi avec quelques-unes des maximes de la raison, ou dispute contre M. Bayle, à qui l’on avoue que les maximes philosophiques qu’il a crues irréconciliables avec nos systèmes de théologie, le sont effectivement.

On examine après cela les cinq principes que M. Jaquelot substitue aux notions communes

  1. Exam. de la théol, de M. Bayle, p. 317.