Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T16.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
VIE DE M. BAYLE.

témoins : le théologien de Rotterdam est un entêté, idolâtre de ses productions, qui aime souverainement les superlatifs, et qui n’a pas été content du peu de louanges qu’on a données à ses ouvrages. M. Jaquelot a été piqué de ce qu’il avait appris que M. Bayle avait parlé du livre de l’existence de Dieu avec assez peu d’estime. De plus, c’est un homme plus que suspect, et qui ne s’est pas tiré avec honneur des affaires qu’il a eues ; un autre a été repris par les synodes ; le troisième est un pélagien et un socinien, convaincu d’hérésie et d’impiété. » M. Jurieu s’efforce de trouver quelque différence entre ses principes et ceux de M. Bayle. On jugera s’il y réussit par l’exposé qu’il donne de son propre système, et qu’il réduit à ces trois points [1]. « I. Que Dieu ne peut avoir eu dans ses actions, dans ses décrets et dans sa providence, d’autre fin que sa propre gloire, d’où il s’ensuit que toutes les dispositions de la divine Providence sont justes, sages et raisonnables, quelque dures qu’elles paraissent au sens de la chair et opposées aux intérêts des créatures. II. Qu’il n’y a dans l’homme ni dans les choses humaines rien de semblable à ce qui est en Dieu ; les noms d’être, de substance, de substance qui pense, de volonté, d’intelligence, de liberté, de droit, de justice et tous autres semblables, sont tous noms équivoques, qui ne signifient pas en Dieu ce qu’ils signifient dans l’homme ; qu’ainsi c’est en vain que l’on compare et la conduite et les droits de Dieu à l’égard de l’homme, à ceux des hommes avec les autres hommes, et tous les argumens qu’on en tire sont des sophismes, n’ayant pas d’autre appui que des comparaisons entre des choses qui ne sont nullement comparables, c’est Dieu et la créature, et les droits de Dieu et ceux de l’homme. III. Mais ce qui va décider de tout, c’est le souverain droit de Dieu sur les créatures ; cette puissance sans bornes doit imposer silence à l’homme sur tout ce qui le chagrine ou qui incommode sa raison dans la conduite de la providence, et par conséquent cela réduit en poudre toutes les profanes et impies difficultés que l’auteur du Dictionnaire prête aux manichéens et aux pauliciens, et qu’il étale avec tant de pompe. »

M. Jurieu fait voir que saint Paul a prévu et rapporté ces difficultés dans son Épître aux Romains [2], et qu’il y répond en montrant que le souverain droit de Dieu sur les créatures doit imposer silence à la raison. M. Jurieu remarque que saint Paul conclut la dispute par cette belle et grande exclamation : Ô profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugemens sont impénétrables et ses voies incompréhensibles ! car qui a connu les desseins de Dieu, ou qui est entré dans le secret de ses conseils ? « Il est plus clair que le jour, ajoute M. Ju-

  1. Ibid, pag. 113 et suiv.
  2. Chap. IX et XI.