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VIE DE M. BAYLE.

qu’ainsi nous nous devons comporter, quant au mystère de la prédestination, tout comme quant aux autres mystères évangéliques ; les croire sur l’autorité de Dieu, quoique nous ne puissions ni les comprendre ni les faire cadrer aux maximes des philosophes. S’il a répandu dans son Dictionnaire quelques autres difficultés, elles sont toutes marquées au même coin. » M. Bayle ajoute que, si c’est là attaquer la religion, il faudra dire que les théologiens les plus orthodoxes l’attaquent aussi, lorsqu’ils disent que la trinité, l’incarnation, la prédestination, et encore plus particulièrement l’origine du mal, sont des mystères que notre raison ne saurait comprendre, mais qu’elle doit croire, en se soumettant à l’autorité de Dieu, qui les a révélés. Il appelle en témoignage une foule de théologiens, qui tout d’une voix récusent la raison, et ne demandent point son consentement quand il s’agit d’articles de foi révélés. Il cite nommément M. Jurieu, qui implorait vainement la raison pour résoudre les difficultés qui se présentaient à son esprit. « Quand je tourne, dit M. Jurieu [1], les yeux sur le monde, sur l’histoire et sur les événemens, j’y trouve des abîmes où je me perds, j’y rencontre des difficultés accablantes. Il est vrai que je vois Dieu qui crée toutes choses, bonnes dans le commencement. L’homme sortant des mains de Dieu était juste, pur et saint. Mais aussitôt je trouve que Dieu abandonne cette créature qu’il venait de mettre au monde, et qu’il la laisse tomber dans le péché : péché dont les suites doivent être si funestes et si terribles [2]...... Je trouve dans la conduite de Dieu des choses qui me sont incompréhensibles, j’ai beaucoup de peine à concilier la haine qu’il a pour le péché avec la providence [3]....... Y a-t-il personne qui soit assez peu sincère pour dire que cela ne lui fait point de peine, et qu’il accorde cela facilement avec la haine infinie que Dieu a pour le péché ? Si Dieu hait le péché infiniment, pourquoi, le prévoyant, ne l’a-t-il pas empêché ? Pourquoi a-t-il fait des créatures dont les autres créatures pouvaient abuser ? Pourquoi a-t-il fait naître des hommes qu’il savait bien se devoir damner ? Pourquoi n’arrête-t-il ces hommes dans leurs courses criminelles ? Pourquoi n’arrête-t-il la plupart des hommes dans ces courses qui les mènent à l’enfer ? Il aurait pu sauver un million de personnes et n’en laisser perdre qu’une. Au contraire, il n’en sauve qu’un cent, et en laisse perdre un million. C’est peut-être qu’il ne peut rien dans cette affaire : mais qui est-ce qui peut résister à sa volonté ? et, puisqu’il sauve cent personnes, pourquoi n’en pourrait-il pas

  1. Jugement sur les méthodes rigides et relâchées d’expliquer la Providence et la Grâce, p. 28 de l’édit. de 1686.
  2. Ibid., p. 63, 64.
  3. Pag. 92, 93.