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VIE DE M. BAYLE.

et agréables par son choix et par sa détermination. Cette parfaite indépendance est la source du bonheur de l’homme, puisqu’elle le rend le maître de ses déterminations et l’arbitre de son sort. Par conséquent Dieu aurait troublé la félicité du premier homme dans sa source s’il ne l’eût point laissé dans la liberté de choisir ce qu’il lui plairait. Il fallait donc que l’homme fût capable de faire un mauvais choix et de tomber dans le péché. Dieu ne pouvait empêcher le mauvais usage de la liberté qu’en trois manières : I. En ne créant aucun être doué de cette liberté. II. En employant sa toute-puissance pour empêcher que les agens libres n’abusassent de leur liberté. III. En transportant l’homme dans une autre habitation, où il n’y eût eu aucune occasion qui pût le porter à faire un mauvais choix. Mais si aucune de ces trois manières n’a été praticable, il faut conclure que la permission du péché est légitime. Or, I. si Dieu n’eût point créé d’êtres libres, le monde n’eût été qu’une pure machine, incapable d’aucune action, car la matière est mue, mais ne se meut pas. D’ailleurs, Dieu a créé le monde pour exercer ses vertus et pour se plaire dans son ouvrage. Or plus une créature lui est semblable, plus elle est suffisante à elle-même, plus lui doit-elle être agréable. Mais l’on ne saurait douter que celle qui se meut d’elle-même, qui se plaît en elle-même, qui est capable de recevoir et de reconnaître un bienfait, ne soit plus excellente, et ne doive plaire davantage à celui qui l’a faite que celle qui est incapable d’agir, de sentir, de reconnaître un bienfait. II. Si Dieu interposait sa puissance pour empêcher les mauvais choix de la liberté, il en arriverait de plus grands inconvéniens que de l’abus même qu’on peut faire de cette liberté. Il ne faut pas une moindre puissance pour empêcher l’action de la liberté que pour arrêter le cours du soleil. Il faudrait d’ailleurs que Dieu changeât entièrement sa manière d’agir avec les agens libres, qui est de les retenir dans le devoir par les motifs des peines et des récompenses. Il empêcherait ce qui nous plaît le plus dans nos déterminations, qui est d’être bien persuadés que nous aurions pu ne pas nous déterminer. Ce serait vouloir ôter à Dieu l’exercice de l’une des plus excellentes de ses vertus, que de vouloir qu’il interposât sa puissance pour empêcher toutes les mauvaises déterminations de la volonté, qui sont l’exercice le plus excellent de sa sagesse, et dans lequel elle reluit d’une façon toute particulière. III. Pour ce qui regarde le troisième moyen d’empêcher les mauvais choix de la liberté, ce serait vouloir détruire entièrement le genre humain, qui a été fait pour habiter sur la terre et non ailleurs. Il est vrai que les bons doivent être un jour transportés dans un autre lieu, pour y demeurer éternellement, mais ce n’est qu’après qu’ils auront été préparés sur la terre, comme les sauvageons dans une pépinière, avant que d’être transplantés pour fructifier ailleurs.

C’est ainsi que M. King répondit aux objections fondées sur le