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VIE DE M. BAYLE.

des plantes et des animaux, sans néanmoins en avoir d’idée. » Il soutint que cela se pouvait, en supposant toujours que celui qui a fait cette nature a en lui-même des idées très claires de ce qu’elle fait ; sans quoi il serait impossible qu’une nature aveugle agît avec ordre. Mais qu’il ne s’ensuit pas que cette nature soit un pur instrument passif entre les mains de Dieu ; parce que, selon la supposition, c’est une nature agissante par elle-même. Il allégua l’exemple des bêtes, que les hommes emploient, comme des instrumens actifs, à tirer des chariots chargés et à tourner des meules, dans un certain ordre, sans qu’elles sachent ni ce qu’elles font, ni pourquoi elles le font, ni si elles observent quelque ordre ou non. Il donna aussi une liste des principales actions des oiseaux, et dit que, quelque admirables que soient ces actions, elles sont faites sans connaissance, puisqu’autrement il en faudrait conclure que ces animaux ont beaucoup plus d’esprit et raisonnent infiniment mieux que l’homme ; ce qui serait une très-grande absurdité. Il avoua qu’il n’avait point d’idée claire des substances plastiques, qu’il ne connaissait pas comment Dieu les applique à la matière, ni comment il les dirige, sans être néanmoins l’auteur de leurs actions ; mais qu’il avait une idée très-claire d’un instrument actif qui est l’auteur de ses propres actions sans savoir néanmoins ce qu’il fait, parce qu’il voyait que les bêtes étaient, à divers égards, des instrumens de cette nature, et que c’était là de quoi, il s’agissait. Il ajouta qu’il ne fallait pas, comme faisait M. Bayle, détacher du sentiment de M. Cudworth une seule proposition, comme s’il n’avait avancé que cela seul, et la faire prendre aux athées pour la rétorquer ; que M. Cudworth n’a pas soutenu, en général, que ce qui n’a point d’idée de l’ordre peut agir avec ordre, mais qu’un être tout-puissant qui a l’idée de l’ordre peut en faire d’autres qui ne l’aient pas et qui néanmoins l’observent, parce qu’il leur peut donner certaine activité qu’ils ne peuvent exercer que de la manière qu’il veut, et qu’il les applique à la matière sur laquelle ils agissent d’eux-mêmes, quoique nous ne sachions pas comment. Après avoir ainsi expliqué le sentiment de M. Cudworth, il dit qu’il ne veut pas « s’arrêter à réfuter en détail les comparaisons de M. Bayle, qui ne sont point justes, qui font disparaître le vrai état de la question, et qui ne roulent que sur des idées confuses, qu’il brouille à dessein pour favoriser les athées. Je ne m’arrêterai pas non plus, ajoute-t-il, à relever de menus raisonnemens pour montrer qu’il ne m’a pas bien entendu et qu’il n’a pas bien pris garde dans quelle vue je parlais. Ce serait ennuyer le lecteur, et l’on ne pourrait éviter des redites fâcheuses et des discussions fatigantes de bagatelles. »

M. Bayle regarda sa dernière réponse comme la fin de cette dispute, et se contenta de faire