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VIE DE M. BAYLE.

rien dire qui puisse plaire à la malignité des lecteurs. Les plus ardens défenseurs de l’orthodoxie se sont toujours conservés dans la possession d’examiner les argumens de l’existence divine et de tout autre article de foi, et de rejeter ceux qui leur paraissaient faibles. » Il fit voir que dans l’Église romaine on reconnaît la différence qu’il y a entre contester un dogme et contester quelques raisons alléguées pour le prouver, et que cette liberté est encore plus grande chez les protestans, « Quoi qu’il en soit, continua-t-il [1], vous comprendrez facilement que la dispute sur les natures plastiques de M. Cudworth n’intéresse point la religion. C’est une hypothèse inventée depuis peu, et suivie de peu de gens. Qu’elle fournisse un prétexte de chicane ou non aux athées, peu importe ; cela ne nuit point à tant d’autres argumens victorieux que ce savant Anglais emploie et développe merveilleusement contre l’athéisme. Le système des péripatéticiens a été pendant plusieurs siècles dans le même cas que celui de ces natures plastiques, et y est encore. Ainsi la dispute dont je vous parle n’est que l’affaire de deux particuliers, qu’une pure question de logique et de physique. Il ne s’agit que de voir si M. Bayle a raison de dire qu’une certaine rétorsion est faisable, ou si M. le Clerc a raison de soutenir le contraire, et n’a pas donné occasion à ses lecteurs de découvrir les embarras et les défauts de ses natures plastiques, »

M. le Clerc prit la chose bien autrement. « Lorsque M. Bayle, dit-il [2], accusa M. Cudworth de donner lieu aux athées de rétorquer quelques-uns des raisonnemens qu’on fait contre eux, je crus d’abord que c’était faute de bien entendre la pensée de M. Cudworth ; car en effet il ne l’entendait pas...... mais comme j’ai vu qu’il ne voulait recevoir aucun éclaircissement là-dessus, après lui en avoir donné par trois fois, je n’ai plus douté qu’il n’eût dit cela à dessein d’excuser les athées, comme il le fait dans ses ouvrages des Pensées sur les comètes et de leur continuation... Fâché, comme il semble, de voir M. Cudworth triompher des athées d’une manière très-glorieuse et très-avantageuse pour le christianisme, ce qu’il n’a pas osé nier, il a fallu, à quelque prix que ce fût, qu’il ternît la manière de philosopher de ce grand homme, en l’accusant de fournir des armes à ceux qui nient qu’il y ait un Dieu. » M. le Clerc dit ensuite que toute la difficulté est réduite présentement à cette seule proposition. « S’il peut y avoir une nature immatérielle et agissante par elle-même, qui forme en petit, par la faculté qu’elle en a reçue de Dieu, des machines telles que sont les corps

  1. Réponse aux Questions d’un provincial, t. III, ch. CLXXXII, p. 1290, 1291.
  2. Bibliothéque choisie, tom. IX, art. X, p. 361, 362.