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VIE DE M. BAYLE.

pothèse des deux principes, quelque fausse et quelque impie qu’elle soit, attaque l’autre hypothèse par des objections que la lumière naturelle ne peut résoudre. C’était là la seule chose que l’anonyme devait combattre, et c’était précisément ce qu’il avait négligé de faire. Il s’était contenté d’agir offensivement contre les principes des manichéens, au lieu de se tenir sur la défensive, et de repousser les attaques que les manichéens peuvent faire contre les chrétiens les plus orthodoxes. Il s’agissait, non pas de porter des coups, mais de parer ceux que l’on portait. Ainsi M. Bayle fait voir que cet auteur n’ayant pas touché aux objections des manichéens, il ne se trouvait point intéressé dans la dispute, et que c’était assez qu’il déclarât publiquement pourquoi il ne lui répondait pas.

L’anonyme prétendait qu’on pouvait facilement détruire le système des deux principes, en posant avec saint Augustin que le mal n’est point un être, mais une simple privation ; et M. Bayle avoue que cette doctrine étant une fois prouvée, elle réfutait solidement les manichéens en tant qu’ils disaient que le mal est une substance : mais qu’un manichéen aurait pu se tirer aisément d’affaire, en montrant que ce n’était qu’une dispute de mots, et un malentendu entre saint Augustin et ses adversaires. Enfin, il avertit l’anonyme, que, s’il juge à propos de traiter régulièrement cette dispute, il n’a qu’à recommencer, puisqu’il n’est pas plus avancé que lorsqu’il écrivit le premier mot de son livre : mais que, s’il n’a point d’autres choses à alléguer que celles qu’il trouvera dans saint Augustin, il fera mieux de ne point écrire. « Elles pourraient, ajoute-t-il, mettre sans doute dans un beau jour les absurdités de la secte manichéenne ; mais il n’est point question de cela, il ne s’agit que de se défendre, et nullement d’attaquer ; il ne suffirait pas même de confondre par des objections les impiétés des manichéens, il faudrait entrer dans une dispute où l’on pût vaincre ceux qui ne donneraient pas la même prise que les adversaires que saint Augustin a réfutés : il faudrait se figurer que l’on combat contre des sceptiques, qui, rebutés par les embarras des deux principes, rejettent cette hypothèse sans vouloir embrasser l’autre, jusqu’à ce qu’on l’ait dégagée des difficultés qui l’accompagnent. En un mot, il faudrait montrer par la lumière naturelle, qu’il y a une très-étroite liaison entre les crimes et les misères du genre humain, et les idées d’une cause infiniment sainte, infiniment puissante, infiniment libre. » L’anonyme ne voulut pas s’engager dans une discussion si épineuse : il prit le parti du silence.

M. Bayle s’acquitta enfin de la promesse qu’il avait faite tant de fois, de publier une défense de ses Pensées sur les comètes. Il commença à y travailler au mois de novembre 1703, et résolut de ne point quitter cet ouvrage qu’il ne