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VIE DE M. BAYLE.

théologiens chrétiens des difficultés au sujet du mal moral et du mal physique, qu’il n’était pas possible de résoudre par les lumières de la raison. M. le Clerc soutint, au contraire, que le système d’Origène, abandonné de tous les chrétiens, suffisait pour lever ces difficultés, et réfuta le manichéen de M. Bayle, sous le personnage d’un origéniste, ajoutant que « si un homme de cette sorte peut réduire un manichéen au silence, que ne feraient pas ceux qui raisonneraient infiniment mieux que les disciples d’Origène [1] ? » Du reste il déclara : « qu’en répondant aux objections manichéennes, il ne prétendait faire aucun tort à M. Bayle, qu’il ne soupçonnait nullement de les favoriser. Je suis persuadé, dit-il [2], qu’il n’a pris la liberté philosophique de dire, en bien des rencontres, le pour et le contre, sans rien dissimuler, que pour donner de l’exercice à ceux qui entendent les matières qu’il traite, et non pour favoriser ceux dont il explique les raisons. On doit prendre les difficultés qu’il propose pour des objections qu’il est permis de faire dans un auditoire de théologie et de philosophie, où, plus on pousse une difficulté, plus elle fait d’honneur à ceux qui la peuvent résoudre. C’est une justice qu’il a droit de demander à ses lecteurs, et qu’on ne lui peut refuser. Pour moi, continue-t-il, je la lui accorde très-volontiers ; mais je crois pouvoir demander à mon tour qu’il me soit permis de répondre à ses objections, sans que l’on fasse aucune application odieuse à la personne, des réponses qui ne regardent que les difficultés. »

1700.

L’année suivante, la princesse Sophie, électrice douairière d’Hanovre, et l’électrice de Brandebourg sa fille, depuis reine de Prusse, eurent la curiosité de voir la Flandre et la Hollande. Ces princesses, moins illustres par l’élévation de leur rang que par leur savoir et leurs lumières, étaient l’admiration de toute l’Europe. Elles honoraient les savans d’une bienveillance particulière, aimaient à s’entretenir avec eux, et leur faisaient souvent des questions très-embarrassantes. M. Bayle leur était parfaitement connu par ses ouvrages : le désir de voir la Hollande s’était augmenté par le plaisir d’y connaître personnellement un philosophe si célèbre. Après avoir parcouru la Flandre, elles étaient à peine arrivées à Rotterdam [3], qu’elles envoyèrent prier M. Bayle de les venir voir. Mais il était fort tard, et M. Bayle était au lit, accablé d’une violente migraine : il leur fit témoigner le regret qu’il avait de n’être pas en état de leur aller rendre ses respects. Ces princesses partirent le lendemain pour la Haye sans avoir vu M. Bayle, que son indisposition retenait chez lui : mais M. le comte de Dhona ayant fait connaître à M. Basnage, qui

  1. Parrhasiana, tom. I, p. 304.
  2. Ibid, p. 302, 303.
  3. Le 26 d’octobre 1700.