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VIE DE M. BAYLE.

ploierai toutes les forces que j’aurai ; très-petites, je l’avoue, mais enfin je les appliquerai mieux, et j’attends de vos lumières et de vos bons avis de quoi être bien dirigé dans la correction. L’autre raison, encore plus importante, est que, si mon Dictionnaire eût eu l’entrée libre en France, mes ennemis de ce pays-ci, gens factieux et adroits à empoisonner les choses, eussent inféré de là que mon livre ne disait rien en faveur des protestans, ni contre la France : marque, dirait-on, de l’attachement criminel dont on soupçonne l’auteur à la cause de l’ennemi commun du repos de l’Europe. Il m’est donc avantageux que mon Dictionnaire ait été défendu ; néanmoins ; quoique je souhaitasse qu’il le fût, je n’ai rien dit qui pût plaire à nos visionnaires. Quand il a été question des affaires de l’Europe, j’ai évité de toucher à rien et pour et contre ; et l’on se plaint même en Angleterre qu’indirectement je condamne la dernière révolution, et que je me déclare trop contre le droit des peuples, en faveur de l’autorité despotique des monarques. »

M. Bayle critiqua M. Jurieu en plusieurs endroits de son Dictionnaire. Il ne faisait en cela qu’exécuter son plan, qui demandait qu’il relevât les erreurs de fait, ou les faux raisonnemens des auteurs dont il avait occasion de parler. « J’ai quelquefois, dit-il [1], critiqué mon ennemi avec quelque force. Il en est outré, et cherche tous les moyens imaginables de se venger. Il a eu d’abord des émissaires qui ont déclamé contre l’ouvrage, disant qu’il contient des impiétés ; et, après ces criailleries, il a engagé son consistoire à examiner l’ouvrage. J’ai mes réponses toutes prêtes, et je ne crains rien pourvu qu’on veuille, je ne dis pas suivre exactement les règles de l’équité, mais s’abstenir seulement de les violer sans pudeur et sans mesure. »

Les partisans de M. Jurieu s’étant trouvés les plus forts dans le consistoire de Rotterdam, il s’en prévalut pour y faire examiner le Dictionnaire de M. Bayle. Cependant il publia plusieurs extraits des lettres anonymes écrites de Paris, de Londres, de Genève, et de quelques villes de Hollande, dans la vue de décrier cet ouvrage. En effet, les auteurs de ces lettres en disaient beaucoup de mal ; mais la plupart ne l’avaient point lu, et n’en parlaient que par ouï-dire. M. Jurieu y joignit le Mémoire de l’abbé Renaudot, et les extraits que M. Bayle avait faits des livres de ce ministre dans les Nouvelles de la République des Lettres, « afin, disait-il, d’opposer les louanges magnifiques que M. Bayle lui avait données et à ses ouvrages, aux critiques du Dictionnaire. » Il accompagna le tout de plusieurs réflexions, où il renouvelait ses anciennes calomnies, et faisait de nouveaux efforts pour diffamer M. Bayle, et faire mépriser son Dictionnaire.

  1. Lettre à M. Constant, du 4 de juillet 1697, p. 654.