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VIE DE M. BAYLE.

qu’il s’était trop hâté, il remarque qu’un travail non interrompu peut aller fort loin en peu de temps, et qu’il n’avait point été dissipé par ces récréations qui sont fort ordinaires aux gens de lettres. « Je me souviens aussi bien qu’eux, dit-il, du distique de Caton,

Interpone tuis interdùm gaudia curis, etc.


mais je m’en sers très-peu. Divertissemens, parties de plaisir, jeux, collations, voyages à la campagne, visites, et telles autres récréations, nécessaires à quantité de gens d’étude, à ce qu’ils disent, ne sont pas mon fait ; je n’y perds point de temps. Je n’en perds point aux soins domestiques, ni à briguer quoi que ce soit, ni à des sollicitations, ni à telles autres affaires. J’ai été heureusement délivré de plusieurs occupations qui ne m’étaient guère agréables, et j’ai eu le plus grand et le plus charmant loisir qu’un homme de lettres puisse souhaiter. Avec cela un auteur va loin en peu d’années, son ouvrage peut croître notablement de jour en jour sans qu’on s’y comporte négligemment. »

Après cela, il explique pourquoi il a cité de longs passages d’auteurs grecs et latins ; et pourquoi, au lieu de les traduire lui-même, il a souvent employé la version d’Amyot ou de Vigenère. Il ajoute que les personnes graves et rigides blâmeront apparemment les citations de Brantôme ou de Montaigne, qui contiennent des actions et des réflexions trop galantes ; mais que des gens de mérite, qui prenaient à cœur les intérêts du libraire, avaient jugé que, pour faire rechercher universellement cet ouvrage, il fallait que ceux même qui n’entendaient pas le latin, et qui ne s’embarrassaient point des discussions de théologie et de philosophie, y trouvassent de quoi s’occuper agréablement ; qu’on lui avait dit que, s’il avait trop de répugnance à suivre cet avis, il devait du moins souffrir qu’on fournît de tels mémoires au libraire, et même quelquefois des réflexions dogmatiques qui excitassent l’attention ; et qu’il avait consenti que le libraire y insérât tous les mémoires qu’on lui enverrait : qu’à l’égard des réflexions philosophiques qu’on avait quelquefois poussées, il ne croyait pas qu’il fût nécessaire d’en faire excuse ; car, comme elles ne tendaient qu’à convaincre l’homme que le meilleur usage qu’il puisse faire de sa raison est de captiver son entendement sous l’obéissance de la foi, elles ne pouvaient que mériter un remercîment de la part des théologiens.

Il fait ensuite quelques remarques sur la liberté qu’il avait prise de relever les fautes de plusieurs écrivains célèbres, ou de marquer leurs défauts. Il déclare qu’il ne prétend rien diminuer de l’estime qu’ils se sont justement acquise ; et, d’ailleurs, que la plupart du temps il ne fait que rapporter ce que d’autres en disent, et n’est que le copiste des auteurs déjà imprimés. « Des deux lois inviolables de l’histoire, dit-il, j’ai observé religieusement celle qui ordonne de ne rien dire de