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VIE DE M. BAYLE.

qu’il apporte de cette interruption et de ce retardement fortifie le soupçon au lieu de l’affaiblir. On est, dit-il, très-bien averti que ces messieurs sont en embuscade et qu’ils ont préparé leurs batteries pour trouver des hérésies dans ces sermons, et l’on ne juge pas à propos de leur donner pour le présent le plaisir de l’escrime, on attendra un peu que leur feu soit passé. Mais si M. Jurieu n’appréhende rien du côté de l’orthodoxie, bien loin de supprimer ses sermons sur les menaces de ces messieurs, il fallait se moquer de leurs préparatifs et rendre toutes leurs batteries inutiles. Ces messieurs qu’il désigne ne sont point des aventuriers pour s’aller escrimer contre des fantômes ; et après tout, le public, qui est le juge commun, aurait vengé M. Jurieu si on l’avait chicané mal à propos. S’ils avaient scandalisé le monde, tant pis pour eux, ce serait à leurs périls et risques. Pour M. Jurieu, si sa morale est droite, l’impression de ses sermons aurait imposé à ces messieurs la nécessité de se taire et aurait achevé d’étouffer des murmures qu’ils ont élevés là-dessus. Mais, il faut l’avouer, cette suspension si subite d’un dessein commencé est si peu ordinaire à M. Jurieu, qu’il laisse comprendre par-là qu’il n’a interrompu le cours de l’impression que pour ne point exposer sa doctrine à la censure inévitable du public. C’est du moins un violent préjugé que la dénonciation l’ait arrêté tout court, et que ce qui devrait être une nouvelle raison de hâter la publication de ses sermons l’a forcé à la renvoyer à un avenir incertain. Cette prudence d’attendre que le feu de ces messieurs soit un peu passé, apparemment n’est autre chose qu’un raffinement pour laisser effacer la mémoire encore trop fraîche et trop récente de ses sermons, et pour leur donner ensuite plus impunément une forme toute différente à la faveur de l’oubli. Si M. Jurieu a enseigné, comme il nous en assure, que nous devons pardonner à nos ennemis, que nous ne devons chercher aucune vengeance, qu’il faut souffrir patiemment les injures, c’est là l’Évangile incontestablement : il ne hasarde rien ; cependant son incertitude fait entrevoir qu’il est embarrassé et qu’il médite quelque fraude pour se sauver ; car il promet ou des sermons ou un traité. On dirait qu’il ne sait de quel côté se tourner. On n’a point tant d’inquiétude quand on n’a prêché que la morale de l’Évangile : on a fait du bruit pour ses sermons ; c’est donc ses sermons qui doivent paraître, ou rien. Un traité sur la matière ne décidera point la question. De plus, si M. Jurieu n’a débité que les maximes qu’on vient de marquer, d’où sont venues les rumeurs et l’émotion de son auditoire ? D’où vient que les ministres réformés de Rotterdam ont désapprouvé sa morale d’une