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VIE DE M. BAYLE.

vaient faire contre ce livre. Mais le Projet de paix l’inquiétait ; il en craignait les suites [1]. Les magistrats de Rotterdam, quoique mieux au fait de ce projet chimérique, obéirent aux ordres du prince, dont ils étaient les créatures : cependant il semble qu’ils eurent honte de leur conduite, puisqu’ils en cachèrent la cause à M. Bayle. Il paraît même que ceux qui étaient du secret donnèrent le change à ceux qui n’en étaient pas, et leur firent accroire qu’il s’agissait du livre sur les Comètes.

M. de Bauval rend ce témoignage à M. Bayle [2], « qu’il reçut sa disgrâce avec une fermeté philosophique, et même avec trop d’indifférence ; surtout sans chagrin par rapport à sa fortune. Il ne se souciait nullement d’amasser du bien, parce qu’en effet il n’en avait pas besoin. Sa tempérance et sa sobriété suppléaient à tout, de sorte qu’avec peu il ne manquait de rien. Il n’était pourtant pas dans l’indigence ; bien loin de là. Aussi, ne se donna-t-il aucun mouvement pour se procurer un autre emploi. Il se trouva plus libre et plus à lui-même, étant déchargé de l’ennuyeuse occupation d’enseigner et de faire des leçons. » M. Bayle s’explique ainsi lui-même, dans une de ses lettres à M. Minutoli, qui lui avait témoigné la part qu’il prenait à sa disgrâce « Je l’ai reçue, dit-il [3], comme doit faire un philosophe chrétien, et je continue, Dieu merci, à posséder mon âme dans une grande tranquillité. La douceur et le repos dans les études où je me suis engagé et où je me plais seront cause que je me tiendrai dans cette ville, si on m’y laisse, pour le moins jusqu’à ce que mon Dictionnaire soit achevé d’imprimer ; car ma présence est tout-à-fait nécessaire où il s’imprime. Du reste, n’étant ni amateur du bien, ni des honneurs, je me soucierai peu d’avoir des vocations ; et je n’en accepterais pas quand bien même on m’en adresserait. Je n’aime point assez les conflits, les cabales, les entre-mangeries professorales, qui règnent dans toutes nos académies. Canam mihi et musis. » En effet, il fut si charmé de cette situation tranquille et indépendante, qu’il refusa des offres très-avantageuses, et ne voulut pas même se prévaloir de la liberté que la régence voulait lui accorder d’instruire les enfans des conseillers qui le souhaitaient passionnément. M. Basnage le sollicita plusieurs fois de leur donner cette satisfaction, mais ses sollicitations furent inutiles. M. le comte de Guiscard, qui avait voulu l’avoir pour ami à Sedan, le pria de se charger de l’éducation de son fils [4]. Il lui offrit mille écus d’appointemens, et l’assura qu’il avait pris des mesures à la cour pour le faire jouir d’une pleine liberté de conscience : mais M. Bayle s’excusa sur la

  1. Tiré d’un Mémoire de M. Basnage.
  2. Éloge de M. Bayle.
  3. Lettre du 8 de mars 1694, page 541.
  4. Voyez l’article Guiscard, t. VII, p. 359, rem. (C).