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VIE DE M. BAYLE.

dition et du zèle qu’il semble y étaler ? Outre les raisons secrètes, qu’on ne pénètre pas toujours, il paraît assez que son dessein n’était pas de se cacher entièrement, ou pour toujours, mais seulement de se tenir quelque temps derrière son tableau, pour voir ce que le public en dirait ; car on trouve vers la fin, qui dit à celui à qui il l’adresse, qu’il peut le faire imprimer, et qu’il lui recommande seulement de ménager son nom ; comme s’il eût voulu dire qu’il n’était pas à propos de le nommer ouvertement, mais qu’on pouvait bien le laisser entendre. Étant né protestant, proche parent et allié de plusieurs d’entre les réfugiés, il était naturel qu’il eût quelque répugnance à paraître hautement l’auteur d’un écrit qui les rendait odieux et suspects aux puissances, et qui semblait fermer la porte à leur rétablissement. Mais sa principale raison était apparemment qu’ayant laissé couler en divers endroits de cet écrit des sentimens assez libres, et des expressions assez fortes contre la manière dont on avait persécuté ceux de notre communion, soit qu’il l’eût fait sans réfléchir assez sur les conséquences, soit pour s’insinuer ainsi dans l’esprit des protestans, l’archevêque de Paris et les jésuites lui en firent une affaire, comme le bruit en fut public. Il arriva, en effet, qu’une édition de l’Avis ayant été commencée à Paris par le sieur Martin, imprimeur ou libraire ordinaire de M. Pélisson, elle fut arrêtée et interrompue, quoiqu’elle eût été entreprise par son ordre ; et depuis on a vu aussi que quelque temps avant sa mort il en fit faire lui-même une nouvelle édition sous ses yeux, mais que ce ne fut qu’après avoir ôté ou changé les endroits qui avaient choqué ceux de sa communion, et y avoir mis aussi une courte préface de sa façon en la place de celle qu’on y voyait auparavant. »

Il est pourtant vrai que peu de temps après que l’Avis eut paru, M. Pélisson écrivit en Hollande pour s’informer qui en était l’auteur, et qu’il tâcha de l’engager à se découvrir par l’espérance d’une récompense considérable [1]. Cela supposerait que cet auteur était inconnu à M. Pélisson, et par conséquent que ce n’était pas lui qui avait écrit l’Avis. Mais M. de la Bastide aurait pu répondre que M. Pélisson ne faisait cela que pour se mieux cacher ; et que d’ailleurs cette supposition est détruite par le privilége de l’édition de Paris, où l’on expose que l’auteur de l’Avis avait obtenu un privilége le 20 d’octobre 1690, mais qu’ayant affecté de demeurer inconnu au public, il avait fait difficulté de laisser enregistrer ledit privilége, expédié en son nom, sur les registres de la communauté des libraires de Paris ; ce qui fait voir que le nom de cet auteur était connu à la chancellerie, et qu’ainsi il n’était pas nécessaire d’é-

  1. Examen de l’Avis aux réfugiés, p. 24, 25 ; Chimère démontrée, préf., p. cxxj.