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VIE DE M. BAYLE.

ment comme traître, impie, criminel de lèse-majesté divine et humaine ; et prouva que pour le rendre coupable il avait employé la fourberie, la mauvaise foi et la plus noire malice. Il fit voir que les caractères que M. Jurieu donnait à l’auteur de l’Avis formaient des présomptions que M. Bayle n’en était pas l’auteur, incomparablement plus fortes que tout ce qu’il avait allégué pour prouver qu’il l’était. Enfin, il récapitula les accusations de M. Jurieu, et les réduisit à dix-huit articles, dont le dernier était [1] que M. Bayle ne faisait pas quasi mystère de son athéisme ; qu’il n’édifiait le public par aucune action de religion ; qu’il était sans religion et sans amour pour Dieu, de sorte que sa première divinité s’appelait Louis XIV. « Voilà, ajoutait M. Bayle, dix-huit articles dont on est bien sûr que mon adversaire ne se tirera jamais. Le dernier seul l’occuperait toute sa vie, sans qu’il y pût jamais trouver que matière de confusion. Je l’attends là avec beaucoup d’impatience. C’est un point si capital, qu’il y faut vaincre ou crever. Il faut qu’il le prouve ou par mes écrits, ou par des témoins dignes de foi, ou en avérant, par des signes non équivoques, que Dieu lui a tellement conféré le don de prophétie, qu’il voit dans le cœur des gens tout ce qui s’y passe... La passion l’a tellement aveuglé, qu’il n’a pu s’apercevoir que si sa cause eût été bonne, il l’aurait gâtée lui-même ; car quand il réussissait sur tous les autres articles, échouant sur le dernier, pourrait-il justement éviter la corde ? L’athéisme n’est-il pas puni partout du dernier supplice ? et un accusateur ne doit-il pas subir la même peine, lorsqu’il se trouve convaincu de faux témoignage, que l’accusé aurait subie s’il eût été convaincu ? Je le répète encore, un accusateur qui s’embarrasse si étourdiment et si follement, excite plutôt la compassion que la colère... Qui ne rirait de voir un ministre engagé à prouver qu’un homme qui de notoriété publique communie quatre fois l’an, et assiste assez souvent aux prières publiques, et à la meilleure partie du sermon, ne fait aucune action de religion ? Je lui montrerai que ma prétendue impiété ne consiste qu’en ce que je n’ai pas voulu applaudir à ses faux miracles, à ses faux prophètes, à ses prétendues révélations, et je ne me ferai jamais une honte d’avoir contribué à soutenir mes confrères les réfugiés sur le bord du fanatisme, et à l’avoir empêché lui-même indirectement de pousser plus loin ses chimères [2]. » À ces dix-huit articles il en ajouta encore sept, et déclara que tout ce que M. Jurieu pourrait écrire avant que d’avoir prouvé ces vingt-cinq articles ne serait que peine perdue ; que ce serait en vain pour son honneur qu’il en aurait justifié quelques-uns ;

  1. Cabale chimérique, p. 283 et suiv.
  2. Ibid., p. 286.