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VIE DE M. BAYLE.

avoir loué la forme du livre, il entreprit de faire voir que l’auteur du livre et celui de la préface n’étaient qu’une seule et même personne ; que cet auteur était protestant et en Hollande, et que la préface faite pour le cacher l’avait découvert. Enfin, il le caractérisa d’une manière qu’on voyait facilement qu’il voulait désigner M. Bayle, quoiqu’il ne se hasardât pas de le nommer. Mais quand il fallut rendre raison de ce qui pouvait avoir porté M. Bayle à écrire cet ouvrage, il se trouva extrêmement embarrassé. « Quel doit être, dit-il [1], le but de cet auteur ? Vit-on jamais un dessein plus bizarre ? Quelle vue a-t-il eue ? D’abord j’ai cru que c’était un de nos sceptiques qui n’avait d’autre but que de se jouer de la vérité, et défendre le pour et le contre ; de faire un livre contre nous, et de le détruire ensuite par un autre ouvrage pour nous, à dessein de faire voir que la vérité aussi-bien dans les faits que dans le droit est dans le puits de Démocrite ; qu’on peut douter de tout, assurer, défendre et combattre tout. Et je suis encore dans la pensée qu’il est un peu entré de cela dans ses vues. Je crois qu’il aurait tenu sa promesse, si on n’avait pas tant fait de bruit. Nous aurions eu une méchante réfutation, car il y aurait parlé contre son cœur et contre ses maximes, au lieu qu’ici il parle selon ses pensées. »

Après cela, M. Jurieu entreprend de découvrir le véritable but de l’auteur. Il dit que cet auteur, « souverainement entêté de la puissance indépendante et sans bornes des souverains, voyant avec chagrin que depuis quelques années on avait écrit avec assez de liberté contre son idole le roi de France, et étant surtout indigné contre la révolution d’Angleterre et le détrônement du roi Jacques, la patience lui avait enfin échappé, et qu’il n’avait pu s’empêcher de faire une apologie pour le roi de France et pour le roi Jacques [2], et que c’était là ce qui l’avait obligé de se cacher sous le voile d’un papisme outré, et d’une haine violente contre la religion protestante [3]. » Il avoue que ce voile « l’aurait arrêté et tenu en suspens sans la préface [4]. » Cependant il ne croyait pas que cet auteur fût aussi animé contre la religion protestante qu’il semblait l’être. « On lui fait la justice, dit-il, de croire qu’il n’est pas si malin contre la religion protestante qu’il le veut paraître, et que son emportement contre nous fait une partie de la comédie, afin de pouvoir défendre derrière ce rideau épais, et le roi de France, et le roi Jacques, et la puissance arbitraire [5]. » Il ne croyait pas même qu’aucun motif d’intérêt l’eût engagé à écrire en faveur de ces princes.

  1. Examen d’un libelle, etc., p. 36, 37.
  2. Ibid., p. 38.
  3. Pag. 39, 40, 41.
  4. P. 40.
  5. P. 40, 41.