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VIE DE M. BAYLE.

votre majesté, non-seulement à cause de ses qualités héroïques et extraordinaires, mais aussi à cause du rang sublime où Dieu l’a fait naître. Comme je me sentais innocent, je me sentis saisi d’une surprise que je ne saurais exprimer, et en même temps d’une douleur accablante, lorsque je vis qu’on interprétait mes paroles d’une manière si opposée à mes véritables intentions, et à tout ce que le sens commun doit inspirer à toute personne raisonnable ; car, madame, y a-t-il un homme qui ait tant soit peu de lumière et de raison qui ne sache la gloire presque infinie qui environne votre majesté, et les hommages respectueux que toute la terre lui doit ? et quand on est capable d’oublier son devoir à cet égard, quelle honte ne doit on pas se faire à soi-même ! Je puis protester à votre majesté, madame, que depuis que je sais lire, je sais qu’elle est l’admiration de tout l’univers, et qu’il n’y a point d’homme de lettres qui soit plus pénétré et plus rempli des justes éloges que les savans lui ont donnés. Je puis dire que je sais encore par cœur tous les endroits de l’Alaric [1] qui regardent votre majesté, dont l’auguste nom brille de toutes parts. Ainsi, je n’avais garde de rien dire ni de rien penser que je crusse contraire à ce qui est dû à une si grande reine. Ma douleur fut donc très-grande quand je sus que des personnes qui ont l’honneur d’être au service de votre majesté, madame, me trouvaient coupable. J’ai aussitôt travaillé à ma justification, et j’apprends, madame, qu’à peu de chose près votre majesté s’est déclarée pour mon apologie. C’est ma plus grande consolation ; et je suis très-assuré qu’il ne me sera pas plus difficile de faire voir en tout mon innocence, quand il plaira à votre majesté, madame, de me faire savoir ses ordres.

 » La seconde lettre que j’ai reçue sur ce sujet me marque une chose que votre majesté veut que je rende publique. C’est qu’elle renonça à la religion de sa naissance dès qu’elle eut l’âge de raison. Si votre Majesté me l’ordonne, je publierai encore ce nouvel éclaircissement ; mais j’ai cru que puisque je me donnais l’honneur, par le conseil d’un de vos ministres, d’envoyer à votre majesté la copie d’une lettre, et en même temps de lui rendre mes hommages les plus humbles, je devais attendre ce qu’il lui plaira de me faire commander. Je supplie très-humblement votre majesté de me pardonner tout ce qui me peut être échappé qui a donné sujet de mal juger de mes intentions, et je lui proteste le plus sincèrement du monde que ma plus forte passion est de témoigner à toute la terre l’admiration, la vénération et la soumission

  1. Scudéry a fait un pompeux éloge de la reine Christine, dans le Xe. livre de son poëme, intitulé : Alaric, ou Rome vaincue.