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VIE DE M. BAYLE.

de quoi il se plaint, et puisqu’il s’agit d’une tête couronnée, ne croyons pas que l’aigreur et la colère qu’il témoigne soit une raison de ne lui pas justifier notre conduite bien tranquillement.

 » Il se plaint en 1er. lieu de ce qu’au nom illustre de Christine je n’ai pas ajouté du moins celui de reine dans mon dernier mois de juin, p.126. Mais je suis fort assuré que les gens un peu raisonnables ne penseront point que ce soit avoir manqué de respect à cette grande princesse. Elle a rendu son nom si fameux, que mon expression en cet endroit-là ne doit point passer pour équivoque. Nommer les gens par leur nom sans y ajouter quelque titre est pour l’ordinaire une marque ou de mépris ou de familiarité ; mais ce n’est pas une règle générale, car il y a des personnes dont le nom seul réveille toutes les idées de leur grande élévation, et alors il est indifférent de leur donner leurs principaux titres, ou de les passer sous silence. On ne gâte rien en les leur donnant, c’est une superfluité tout au plus qui ne nuit point. Si on les supprime, on ne gâte rien non plus ; c’est une omission sans conséquence. Les têtes couronnées sont de ce nombre de personnes, et de là vient qu’on dit plus souvent dans la conversation et dans l’histoire, François Ier., Charles-Quint, Henri IV, Philippe II, que le roi François Ier., l’empereur Charles-Quint, etc. On suppose que le rang où Dieu a élevé ces princes ne souffre pas que le lecteur interprète pour une incivilité la suppression de leurs qualités ; ainsi on va au plus court sans scrupule. Je sais bien, comme le remarque l’auteur de la lettre, que le nombre de premier, ajouté au nom de François, porte avec soi quelque distinction ; mais cela même fait voir qu’en cas que le seul nom de François renfermât une distinction, il ne serait pas nécessaire d’ajouter le nombre premier. C’est ainsi qu’on dit tous les jours qu’Alexandre a été disciple d’Aristote, que Soliman s’est saisi de la Hongrie. On n’a que faire ni de dire que le premier était roi de Macédoine, et que le second a été sultan, ni d’ajouter le nombre ordinal qui leur convient. Nos écrivains les plus exacts diraient sans scrupule, Constantin, Théodose, Justinien, sont les véritables auteurs d’une telle loi. Veut-on un exemple domestique ? Qui est-ce qui n’a point dit ou écrit, soit durant la vie du roi de Suède Gustave Adolphe, soit après sa mort, Gustave a fait ceci ou cela ? et d’où vient qu’il n’est pas nécessaire en parlant de lui d’ajouter le titre de roi, ni le nombre ordinal qui lui convient dans la suite des rois de Suède ? C’est parce qu’il a rendu si fameux le nom de Gustave, qu’il se distingue suffisamment par ce seul nom. Nous voilà dans le cas. La reine de Suède, sa fille, a donné un tel éclat au nom de Christine, qu’il suffit de lui