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VIE DE M. BAYLE.

d’esprit, et ceux qui lisent vos Nouvelles de la république des lettres, pour peu qu’ils s’y connaissent, avouent que vous en avez parfaitement. Mais, monsieur, ne saurait-on être bel esprit sans offenser les gens, et sans s’attirer des affaires ? et vous qui savez tant de choses, devriez-vous ignorer le respect qu’on doit aux têtes couronnées, et que ce sont des choses sacrées, où l’on ne touche pas sans danger du foudre et du tonnerre ? Je vous dis ceci au sujet de la reine de Suède, de qui vous avez pris la liberté de parler bien cavalièrement dans vos nouvelles, à propos d’une lettre qu’on a imprimée sous son nom. Vous en faites mention en quatre endroits ; mais le dernier est assurément d’un esprit qui a pris l’essor un plus loin qu’il ne fallait.

» Quand au nom illustre de Christine vous auriez du moins ajouté celui de reine, vous n’auriez fait que votre devoir. Ne m’allez pas dire que les grands historiens, comme vous, traitent ainsi les plus grands monarques, et qu’ils disent tout court Louis XIV et Jacques II en parlant du roi de France et de celui d’Angleterre. Le nombre de quatorze et de deux porte avec soi quelque distinction, et corrige en quelque manière la liberté de cette expression. Mais qui dirait par exemple, Louis s’est mis en tête de convertir les protestans, avec une mission de dragons, ou Jacques veut par la douceur rétablir s’il peut, la religion dans son royaume ; ce serait une manière de parler bien ridicule. Il ne l’est pas moins, monsieur, de dire comme vous faites dans votre dernier mois de juin, page 726, On confirme que Christine est le véritable auteur, etc., en parlant d’une des plus illustres reines qu’il y ait eu, et qu’il y aura peut-être jamais dans le monde. Il fallait assurément accompagner ce nom de quelque titre, non-seulement par le respect que vous devez à une si grande princesse en parlant de sa majesté, mais même selon le style des gens qui se piquent de bien écrire.

» Mais ce n’est pas encore ce qui y a de plus défectueux dans cet endroit de vos Nouvelles. Ce sont, monsieur, deux ou trois mots avec lesquels vous finissez cet article. C’est un reste, dites-vous, de protestantisme. Vous vous seriez bien passé de dire cela. La passion de faire le bel esprit vous a emporté ; mais vous vous êtes trompé, il n’y a point d’esprit là-dedans, il n’y a que de l’insolence. On ne parle point ainsi d’une reine qui fait profession, avec tant de zèle et de bon exemple, d’une religion contraire à celle des protestans, qui a tout sacrifié pour elle, et dont toutes les actions démentent ce que vous dites, qu’il y ait en sa majesté aucun reste de votre religion. Il ne faut pour s’en convaincre que lire cette même lettre dont vous parlez dans vos Nouvelles, il ne fau-