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VIE DE M. BAYLE.

aurait aucun inconvénient à tolérer non-seulement les juifs, mais même, si cela était nécessaire, les mahométans et les païens, et à plus forte raison les sociniens. Il examine les restrictions des demi-tolérans ; et, après avoir fait quelques remarques sur ce qu’on appelle blasphème, il conclut qu’on n’était pas en droit de punir Servet comme blasphémateur.

La 8e. et dernière objection, c’est « qu’on rend odieux le sens littéral de contrainte en supposant faussement qu’il autorise les violences que l’on fait à la vérité. » M. Bayle répond que la conséquence est juste : et que si on admet le sens littéral, les hérétiques auront le même droit de persécuter les orthodoxes, que les orthodoxes prétendent avoir de persécuter les hérétiques. Pour le prouver, il pose pour principe qu’on est toujours obligé de suivre les mouvemens de sa conscience : qu’on pèche toujours si on ne les suit pas, quoiqu’on puisse pécher quelquefois en les suivant. Ce principe est fondé sur cette maxime, que tout ce qui est fait contre le dictamen de la conscience est un péché ; d’où il s’ensuit, que tout homme qui fait une action que sa conscience lui dicte être mauvaise, ou qui ne fait pas celle que sa conscience lui dicte qu’il faudrait faire, offense Dieu et pèche nécessairement ; de sorte que si Dieu avait ordonné par une loi positive, que tout homme qui connaît la vérité doit employer le fer et le feu pour la défendre, tous ceux à qui cette loi serait révélée se trouveraient dans une nécessité indispensable d’y obéir. Or, comme un hérétique est persuadé que ses sentimens sont véritables, il est donc obligé de faire pour ses erreurs ce que Dieu aurait commandé de faire pour la vérité, et par conséquent les hérétiques seraient autorisés à persécuter les orthodoxes qu’ils regardent comme des errans, s’il était vrai que Dieu eût commandé de persécuter l’erreur. Il fortifie cette preuve en distinguant la vérité absolue d’avec la vérité putative ou apparente. Il dit que, comme nous n’avons point de marque assurée pour discerner si ce qui nous paraît être la vérité l’est absolument, lorsqu’il se rencontre que l’erreur est ornée des livrées de la vérité, nous lui devons le même respect qu’à la vérité ; et que, vu la faiblesse de l’homme et l’état où il se trouve, la sagesse infinie de Dieu n’a pas permis qu’il exigeât de nous à toute rigueur que nous connussions la vérité absolue, mais qu’il nous a imposé une charge proportionnée à nos forces, qui est de chercher la vérité, et de nous arrêter à ce qui nous paraît l’être après l’avoir sincèrement cherchée ; d’aimer cette vérité apparente, et de nous régler sur ses préceptes, quelque difficiles qu’ils soient.

Dans la préface, intitulée : Discours préliminaire qui contient plusieurs remarques distinctes de celles du commentaire, l’auteur dit qu’il a composé cet ouvrage à la sollicitation d’un réfugié, auteur de la France toute catholique ; et que l’ayant fait pour être traduit en français, et