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ZOROASTRE.

de la guerre de Troie….. appelloit le bon Dieu Oromazes, et l’autre Arimanius[1] ..... et enseigna de sacrifier à l’un pour lui demander toutes choses bonnes, et l’en remercier ; et à l’autre, pour divertir et destourner les sinistres et mauvaises : car ils[2] broyent ne sai quelle herbe, qu’ils appellent omomi, dedans un mortier, et reclament Pluton et les tenebres, et puis la meslant avec le sang d’un loup qu’ils ont immolé, ils la portent et la jettent en un lieu obscur où le soleil ne donne jamais : car ils estiment que des herbes et plantes les unes appartiennent au bon Dieu, et les autres au mauvais dæmon ; et semblablement des bestes, comme les chiens, les oiseaux et les hérissons terrestres soyent à Dieu ; et les aquatiques, au mauvais dæmon, à cette cause reputent bienheureux ceux qui en peuvent faire mourir plus grand nombre. Toutefois ces sages-là disent beaucoup de choses fabuleuses des dieux ; comme sont celles-ci : que Oromazes est né de la pure lumiere, et Arimanius des tenebres ; qu’ils se font la guerre l’un à l’autre, et que l’un a fait six dieux, le premier celui de Benevolence, le second de Verité, le troisieme de bonne Loi, le quatrieme de Sapience, le cinquieme de Richesse, le sixieme de Joye, pour les choses bonnes et bien faites : et l’autre en produit autant d’autres en nombre, tous adversaires et contraires à ceux-ci. Et puis Oromazes s’estant augmenté par trois fois, s’esloigna du soleil, autant comme il y a depuis le soleil iusques à la terre, et orna le ciel d’astres et d’estoiles, entre lesquelles il en establit une comme maîtresse et guide des autres, la caniculaire. Puis ayant fait autres vingt et quatre dieux, il les mit dedans un œuf, mais les autres, qui furent faits par Arimanius, en pareil nombre, graterent et ratisserent tant cest œuf, qu’ils le percerent, et depuis ce temps-là les maux ont esté pesle-mesle brouillez parmi les biens. Mais il viendra un temps fatal et predestiné, que cest Arimanius, ayant amené au monde la famine ensemble et la peste, sera destruit et de tout poinct exterminé par eux, et lors la terre sera toute plate, unie et égale, et n’y aura plus qu’une vie, et une sorte de gouvernement des hommes, qui n’auront plus qu’une langue entre eux, et vivront heureusement. Theopompus aussi escrit que selon les magiciens, l’un de ces dieux doit estre trois mille ans vainqueur, et trois autres mille ans veincu, et trois autres mille ans qu’ils doivent demeurer à guerroyer et à combattre l’un contre l’autre, et à destruire ce que l’autre aura fait, jusqu’à ce que finalement Pluton sera delaissé, et perira du tout, et lors les hommes seront bienheureux, qui n’auront plus besoin de nourriture, et ne feront plus d’ombre, et que le Dieu qui a ouvré, fait et procuré cela, chomme cependant et se repose un temps, non trop long pour un Dieu, mais comme mediocre à un homme qui dormiroit. Voilà ce que porte la fable controuvée par les mages. »

Il n’a pas été inutile de rapporter tout ce passage, puisque l’on y voit quelques détails sur les opinions, et sur les préceptes de Zoroastre, et que nous pouvons connaître par-là que les sectateurs des deux principes s’embarrassaient dans plusieurs inconséquences absurdes, dès qu’ils descendaient à l’explication particulière de leur système. J’ai observé la même chose en parlant des manichéens[3]. Or puisque, selon la tradition la plus commune, Zoroastre doit passer pour le fondateur des mages, et qu’on peut prouver par un grand nombre d’autorités qu’ils ont admis un bon dieu et un mauvais dieu, celui-là, nommé Oromase ou Orosmade, celui-ci nommé Arimanius, il y a beaucoup d’apparence qu’il a soutenu effectivement cette doctrine[4].

Observons que Plutarque, ayant

  1. Ce qui manque ici se voit ci-dessus, article Manichéens, tome X, page 192, remarque (C), au premier alinéa.
  2. C’est-à-dire les Perses.
  3. Ci-dessus, remarque (B) de l’article Manichéens, tom. X, pag. 189.
  4. Voyez Diogène Laërce, in Proœ mio, num. 8, et Agathias, Histor., lib. II.