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ZÉNON.

eût songé aux passages qui nous apprennent que Cicéron, Cotta et Pomponius Atticus furent auditeurs de Zénon, il ne lui eût point donné pour maître un disciple d’Épicure ; car puisque Épicure mourut l’an 2 de la 127e. olympiade, et que Cicéron ouït Zénon l’an 674 de Rome, c’est-à-dire la première année de la 175e. olympiade, il n’est pas possible qu’un auditeur d’Épicure ait enseigné Zénon. Il y a plus de cent quatre-vingt-dix ans entre la mort d’Épicure et l’année où Cicéron ouït Zénon. Voyez Jonsius [1], qui a observé cette méprise de Vossius. M. Ménage l’a adoptée [2].

(C) Il traitait ses adversaires avec beaucoup de mépris, et fort aigrement. ] Cotta, voulant faire voir que la secte d’Épicure était médisante, allègue notre Zénon [3]. Zeno quidem non eos solùm qui tum erant Apollodorum, Syllum, cæterosque figebat maledictis, sed Socratem ipsum parentem philosophiæ latino verbo utens scurram Atticum fuisse dicebat [4], Chrysippum nunquàm nisi Chesippum [5] vocabat.

(D) L’ouvrage qu’il écrivit contre les mathématiques. ] C’est ce qu’on apprend de Proclus [6], qui ajoute que Possidonius le réfuta. M. Ménage rapporte quelques paroles de Proclus : Eum (Zenonem) integro volumine refutavit Posidonius Apameensis : aliàs Rhodius ; teste Proclo, libro III, ad 1 Euclidis. Ζήνον, inquit, ὁ Σιδώνιος, τῆς Ἑπικούρου μετέχων αἱρέσεως, πρὸς ὃν καὶ ὁ Ποσειδώνιος ὅλον γέγραϕε βιϐλίον, δεικνὺς σαθρὰν αὐτοῦ πᾶσαν τὴν ἐπίνοιαν [7]. M. Huet ayant dit qu’Épicure rejeta la géométrie et les autres parties des mathématiques, parce qu’il croyait qu’étant fondées sur de faux principes, elles ne pouvaient pas être véritables, ajoute que Zénon les attaqua par un autre endroit. Ce fut d’alléguer qu’afin qu’elles fussent certaines, il aurait fallu ajouter à leurs principes certaines choses que l’on n’y avait point jointes. Aliâ viâ adversùs geometriam grassabatur Zeno epicureus, imperfecta ejus esse docens initia, undè nihil effici posset, nisi alia quædam adjicerentur, quæ in iis prætermissa sunt : quam ejus sententiam toto libro confutare conatus est Posidonius [8]. Les mathématiques sont ce qu’il y a de plus évident et de plus certain dans les connaissances humaines, et néanmoins elles ont trouvé des contredisans. Si notre Zénon eût été un grand métaphysicien, et qu’il eût suivi d’autres principes que ceux d’Épicure, il eût pu faire un ouvrage malaisé à réfuter, et il eût taillé plus de besogne aux géomètres qu’on ne s’imagine. Toutes les sciences ont leur faible ; les mathématiques ne sont point exemptes de ce défaut. Il est vrai que peu de gens sont capables de les bien combattre ; car, pour bien réussir dans ce combat, il faudrait être non-seulement un bon philosophe, mais aussi un très-profond mathématicien. Ceux qui ont cette dernière qualité sont si enchantés de la certitude et de l’évidence de leurs recherches, qu’ils ne songent point à examiner s’il y a là quelque illusion, ou si le premier fondement a été bien établi. Ils s’avisent rarement de soupçonner qu’il y manque quelque chose. Ce qu’il y a de bien constant est qu’il règne beaucoup de disputes entre les plus fameux mathématiciens. Ils se réfutent les uns les autres ; les répliques et les disputes se multiplient parmi eux tout comme parmi les autres savans. Nous voyons cela parmi les modernes, et il est sûr que les anciens ne furent pas plus unanimes [9]. C’est une marque que l’on rencontre dans cette route plusieurs sentiers ténébreux, et qu’on s’égare, et qu’on perd la piste de la vérité. Il faut nécessairement que ce soit le sort des uns ou des autres, puisque les uns assurent

  1. Jonsius, de Script. Hist. Philos., p. 184.
  2. Ménage in Laërt., lib. VII, num. 35, pag. 279.
  3. Cicero, de Nat. Deorum, lib. I, cap. XXXIV, page 135, edit. Lescaloperii.
  4. Voyez Lactance, Divin. Institut., lib. III cap. XIX, page m. 201.
  5. Ἀπὸ τõυ χέζειν, quod est, alvum exonerare.
  6. Proclus, page 55, apud Barrow, lect. V, Mathem., page 76.
  7. Ménag. in Laërt., lib. VII, num. 35, p. 279, col. 1.
  8. Huetius, Demonst. Evangel, præfat. num. 3, page 6, edit. Lips., 1694.
  9. Voyez M. Huet, ubi suprà, axiom. IV, pag. 28, 29.