Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
ZÉNON.

quis eum subitò enthusiasmus perculisset, respondisse : Zenonem refello [1]. Ils ont nommé le philosophe qui niait le mouvement, ils ont embelli les circonstances de la réponse pratique, ils en ont fait la matière des chreïes actives à l’usage des jeunes rhétoriciens. Je m’étonne que Sextus Empiricus n’ait daigné nommer celui qui réfuta de la sorte les objections contre l’existence du mouvement. Ce qu’il a dit de moins vague est qu’un cynique se servit de cette manière de les réfuter : Ταῦτά τοι καὶ ἐρωτηθεὶς ϕιλόσοϕος, τὸν κατὰ τῆς κινήσεως λόγον, σιωπῶν περιεπάτησεν,
Ταῦτά τοι καὶ. Ideòque cùm proposita esset philosopho oratio motum negans, tacitus ambulare cœpit[2]. Dans un autre endroit il s’exprime ainsi : Διὸ καὶ τῶν Κυνικῶν τις ἐρωτηθεὶς κατὰ τῆς κινήσεως λόγον, οὐδὲν ἀπεκρίνατο ἀνέςη δὲ καὶ ἐϐάδισεν· ἔργῳ καὶ διὰ τῆς ἐναργείας παριςάς, ὅτι ὑπαρκτή ἐςιν ἡ κίνησις. Ideòque quidam ex cynicis, cùm ei proposuita esset contra motum oratio, nihil respondit ; sed surgens ambulare cœpit, opere et actu ostendens existere motum[3]. Il vaut mieux que nommer personne que d’assurer que Diogène le Cynique et Zénon d’Élée furent les acteurs. Cette faute de chronologie est inexcusable[4] : les jésuites de Conimbre l’ont imputée à Simplicius sans le réfuter. Ils étaient à cet égard dans l’erreur vulgaire. Certè, disent-ils[5], hæc Zenonis tam absurda opinio nullo meliùs quàm experientiæ ipsius argumento refellitur. Quod Diogenes Cynicus fecit, ut refert Simplicius hoc in libro commento 53, et lib. 8, comment. 25. Nam cùm Zenonis rationes aliquando audisset, surrexit, nec aliter quàm coràm ambulando respondit. Ils n’ont point commis l’autre faute, qui est si commune ; ils n’ont point cru que le Zénon qui niait le mouvement, et dont Aristote examine les raisons, fût le chef des stoïciens ; ils ont dit[6] en propres termes que c’était Zénon d’Élée. Voici un passage tout plein de fautes : Continuum ex partibus indivisibilibus constare contra Aristotelem constanter defendebat Zeno stoïcorum princeps, quem ducem sunt sequuti ex philosophis Democritus, et Leucippus. Ex theologis antiquis May. in 2, dist. 2, quæst. 5. Gerardus apud Tartaletum hoc lib., quæst. 1, et Ægidius discipulus D. Thom. lib. 1, de Generat. quæst. 8, eitatus à Veracrux 6. Physic. speculat. 1[7]. Il n’y a point lieu de douter qu’on n’ait eu dessein dans ce passage de parler du même Zénon qu’Aristote a réfuté dans le chapitre IX du VIe. livre de sa Physique. Or il ne paraît pas que Zénon d’Élée ait enseigné que le continu fût composé de parties indivisibles. Il se contentait de se prévaloir de la doctrine contraire, pour montrer que le mouvement était impossible. Il disait même qu’un corps indivisible ne diffère point du néant [8] ; et nous ferons voir ci-dessous qu’il n’admettait aucune composition dans l’univers. Cependant on le regarde comme l’auteur de la secte qui soutenait que les points mathématiques composent le continu[9]. Il serait plus raisonnable d’attribuer ce sentiment à Pythagore et à Platon, comme a fait le sieur Dérodon, se fondant à l’égard de Pythagore sur le témoignage de Sextus Empiricus, et à l’égard de Platon sur le témoignage d’Aristote[10]. Mais quelle bévue de nous donner pour le guide de Démocrite et de Leucippe le fondateur des stoïciens ! Il fallait savoir que Leucippe a précédé Démocrite, et que l’un et l’autre ont précédé de plusieurs olympiades le chef des stoïques. Outre que leurs atomes forment un système bien différent de celui qu’on attribue aux zénonistes sur la composition du contenu.

  1. Libertus Fromondus, de Compositione continui, page 6.
  2. Sextus Empiricus, Pyrrhon Hypotypos., lib. II, cap. XXII, page 104.
  3. Idem, ibidem, lib. III, cap. VIII, page 124.
  4. Diogène le Cynique a vécu long-temps après Zénon d’Élée.
  5. Conimbricenses in Phys. Aristot., lib. VI, cap. II, page m. 118.
  6. Ibid., in cap. VIII, pag. 145,
  7. Franciscus de Oviedo, Physic., controvers. XVII, pag. 334, col. 1.
  8. Arist., Metaphys., lib. III, cap. IV.
  9. Arriaga et cent autres scolastiques espagnols nomment zénonistes ceux qui tiennent que le continu est composé de parties indivisibles et non étendues, opinion très-différente de celle des atomistes.
  10. Derodon., Disp. de Atomis, pages 4 et 5. Il cite Sextus Empiricus, lib. IX, adv. Math., et Aristote, lib. I, de Generat., textu VII.