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ZÉNON.

mentorum, quàm eam dare quæ fortè à nomine intelligatur[1].

Un zénoniste pourrait dire à ceux qui choisissent l’une de ces trois hypothèses : Vous ne raisonnez pas bien ; vous vous servez de ce syllogisme disjonctif :

Le continu est composé ou de points mathématiques, ou de points physiques, ou de parties divisibles à l’infini :

Or il n’est composé, ni de... ni de[2] ....

Donc il est composé de....

Le défaut de votre raisonnement n’est point dans la forme, mais dans la matière : il faudrait abandonner votre syllogisme disjonctif, et employer ce syllogisme hypothétique :

Si l’étendue existait, elle serait composée ou de points mathématiques, ou de points physiques, ou de parties divisibles à l’infini :

Or elle n’est composée ni de points mathématiques, ni de points physiques, ni de parties divisibles à l’infini.

Donc elle n’existe point.

Il n’y a aucun défaut dans la forme de ce syllogisme ; le sophisme à non sufficienti enumeratione partium ne se trouve pas dans la majeure ; la conséquence est donc nécessaire, pourvu que la mineure soit véritable. Or il ne faut que considérer les argumens dont ces trois sectes s’accablent les unes les autres, et les comparer avec les réponses ; il ne faut, dis-je, que cela pour voir manifestement la vérité de la mineure. Chacune de ces trois sectes, quand elle ne fait qu’attaquer, triomphe, ruine, terrasse ; mais à son tour elle est terrassée et abîmée quand elle se tient sur la défensive. Pour connaître leur faiblesse, il suffit de se souvenir que la plus forte, celle qui chicane mieux terrain, est l’hypothèse de la divisibilité à l’infini. Les scolastiques l’ont armée de pied en cap de tout ce que leur grand loisir leur a pu permettre d’inventer de distinctions : mais cela ne sert qu’à fournir quelque babil à leurs disciples dans une thèse publique, afin que la parenté n’ait point la honte de les voir muets. Un père ou un frère se retirent bien plus contens, lorsque l’écolier distingue entre l’infini catégorématique et l’infini syncatégorématique, entre les parties communicantes et non communicantes, proportionnelles et aliquotes, que s’il n’eût rien répondu. Il a donc été nécessaire que les professeurs inventassent quelque jargon ; mais toute la peine qu’ils se sont donnée ne sera jamais capable d’obscurcir cette notion claire et évidente comme le soleil : Un nombre infini de parties d’étendue, dont chacune est étendue, et distincte de toutes les autres, tant à l’égard de son entité qu’à l’égard du lieu qu’elle occupe, ne peut point tenir dans son espace cent mille millions de fois plus petit que la cent millième partie d’un grain d’orge.

Voici une autre difficulté. Une substance étendue qui existerait devrait nécessairement admettre le contact immédiat de ses parties. Dans l’hypothèse du vide, il y aurait plusieurs corps séparés de tous les autres, mais il faudrait que plusieurs autres se touchassent immédiatement. Aristote, qui n’admet point cette hypothèse, est obligé d’avouer qu’il n’y a aucune partie de l’étendue qui ne touche immédiatement à quelques autres par tout ce qu’elle a d’extérieur. Cela est incompatible avec la divisibilité à l’infini : car s’il n’y a point de corps qui ne contienne une infinité de parties, il est évident que chaque partie particulière de l’étendue est séparée de toute autre par une infinité de parties, et que le contact immédiat de deux parties est impossible. Or, quand une chose ne peut avoir tout ce que son existence demande nécessairement, il est sûr que son existence est impossible : puis donc que l’existence de l’étendue demande nécessairement le contact immédiat de ses parties, et que ce contact immédiat est impossible dans une étendue divisible à l’infini, il est évident que l’existence de cette étendue est impossible, et qu’ainsi cette étendue n’existe que mentalement. Il faut reconnaître à l’égard du corps ce que les mathématiciens

  1. Idem, ibidem, sect. XII, num. 256, pag. 435.
  2. Pour abréger, on n’exprime point la rejection ni l’admission ; car selon les lois de la logique on peut procéder ici de la rejection des deux parties quelconques, à l’admission de la troisième.