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ZÉNON.

actuellement les unes après les autres. Est-ce un infini en puissance ? n’est-ce pas un infini actuel ? Disons donc que sa distinction est nulle, et que l’objection de Zénon conserve toute sa force. Une heure, un an, un siècle, etc. sont un temps fini : un pied de matière est un espace infini : il n’y a donc point de mobile qui puisse jamais arriver du commencement d’un pied à la fin. Nous verrons dans la remarque suivante si l’on pourrait éluder cette objection, en supposant que les parties d’un pied de matière ne sont pas infinies. Contentons-nous ici d’observer que le subterfuge de l’infinité des parties du temps est nul ; car s’il y avait dans une l’heure une infinité de parties, elle ne pourrait jamais ni commencer ni finir. Il faut que toutes ses parties existent séparément ; jamais deux n’existent ensemble, et ne peuvent être ensemble : il faut donc qu’elles soient comprises entre une première et une dernière unité, ce qui est incompatible avec le nombre infini.

La IIIe. objection était l’argument fameux qu’on nommait Achille[1]. Zénon d’Élée en fut l’inventeur, si l’on s’en rapporte à Diogène Laërte [2], qui dit néanmoins que Phavorin l’attribue à Parménides et à plusieurs autres. Cette objection a le même fondement que la seconde ; mais elle est plus propre aux déclamations. Elle tendait à montrer que le mobile le plus vite, poursuivant le mobile le plus lent, ne pourrait jamais l’atteindre. Γίνεται δὲ παρὰ τὸ αὐτὸ τῇ διχοτομίᾳ· ἐν ἀμϕοτέροις γὰρ συμϐαίνει μὴ ἀϕικνεῖσθαι πρὸς τὸ πέρας, διαιρουμένου πῶς τοῦ μεγέθους· Ἀλλὰ πρόσκειται ἐν τούτῳ, ὅτι οὐδὲ τὸ τάχιςον τετραγῳδημένον ἐν τῷ διώκειν τὸ βραδύτερον· ὥς' ἀνάγκη καὶ τὴν λύσιν εἶναι τὴν αὐτήν. Ob idem autem evenit atque in divisione in dimidia. Nam in utrâque accidit, ut ad finem non perveniatur, quoque modo magnitudine divisâ. Sed in hâc additur ne illud quidem, quod celerrimum est, (quod tragicè prolatum est) id quod tardissimum est attingere persequendo. Quamobrem solutio eadem sit necesse est[3]. Supposons une tortue à vingt pas devant Achille, et limitons la vitesse de ce héros à la proportion d’un à vingt. Pendant qu’il fera vingt pas la tortue en fera un : elle sera donc encore plus avancée que lui. Pendant qu’il fera le vingt-et-unième pas, elle gagnera la vingtième partie du vingt-deux ; et pendant qu’il gagnera cette vingtième partie, elle parcourra la vingtième partie de la partie vingt-et-unième, et ainsi de suite. Aristote nous renvoie à ce qu’il a répondu à la seconde objection : nous pouvons le renvoyer à notre réplique. Voyez aussi ce qui sera dit dans la remarque suivante, touchant la difficulté d’expliquer en quoi consiste la vitesse du mouvement.

Passons à la IVe. objection : elle tend à faire voir les contradictions du mouvement. Ayez une table de tend à faire voir les contradictions quatre aunes, prenez deux corps qui aient aussi quatre aunes, l’un de bois, l’autre de pierre[4] ; que la table soit immobile, et qu’elle soutienne la pièce de bois, selon la longueur de deux aunes à l’occident ; que le morceau de pierre soit à l’orient, et qu’il ne fasse que toucher le bord de la table ; qu’il se meuve sur cette table vers l’occident, et qu’en demi-heure il fasse deux aunes, il deviendra contigu au morceau de bois. Supposons qu’ils ne se rencontrent que par leurs bords, et de telle sorte que le mouvement de l’un vers l’occident n’empêche point l’autre de se mouvoir vers l’orient. Qu’au moment de leur contiguïté le morceau de bois commence à tendre vers l’orient, pendant que l’autre continue à tendre vers l’occident ; qu’ils se meuvent d’égale vitesse : dans demi-heure le morceau de pierre achèvera de parcourir toute le table : il aura donc parcouru un espace de quatre aunes dans une heure, savoir toute la superficie de la table. Or le morceau de bois dans demi-heure a fait un semblable es-

  1. Voyez l’article d’Achille, rem. (L), tom. I, pag. 162.
  2. Οὖτος καὶ τὸν Ἀχιλλέα πρῶτος λὸγον ἐρώτησε Φαϐωρῖνος δέ ϕησι Παρμενίδην, καὶ ἄλλους συχνούς. Hic et Achillea primus oratione argumentatus est ; quamvis Phavorinus Parmeniden et alios complures profert. Diogenes Laert., lib. IX, num. 29.
  3. Aristoteles, Physic., lib. VI, cap. IX, pag. 148.
  4. Une autre matière serait aussi propre. On ne ici le bois et la pierre que pour exemple.