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ZÉNON.

quia nihil esse credebat, nisi quòd aliquam magnitudinem haberet : quam ob caussam sæpè utebatur hoc quasi principio, Quod nec additum facit majus, nec detractum reddit minus, nihil est. Quocircà dicebat, nihil esse, quod omni ex parte esset ens, nisi corpus, quando quidem solum corpus additum, secundùm quamcumque dimensionem facit majus siquidem linea addita non facit majus, nisi secundùm longitudinem, nec superficies, nisi secundùm longitudinem et latitudinem. Undè sequebatur, unitatem abstractam, qualem ponebat Plato, itemque punctum nihil omninò esse, quia nequeant rem ullam majorem facere[1].

(F) Quelques-unes de ses objections contre l’existence du mouvement nous ont été conservées dans les écrits d’Aristote. ] Lisez la Physique d’Aristote [2], vous y trouverez l’examen de quatre objections de Zénon [* 1].

Voici la première[3]. Si une flèche qui tend vers un certain lieu se mouvait, elle serait tout ensemble en repos et en mouvement. Or cela est contradictoire, donc elle ne se meut pas. La conséquence de la majeure se prouve de cette façon. La flèche à chaque moment est dans un espace qui lui est égal. Elle y est donc en repos ; car on n’est point dans un espace d’où l’on sort : il n’y a donc point de moment elle se meuve ; et, si elle se mouvait dans quelques momens, elle serait tout ensemble en repos et en mouvement. Pour mieux comprendre cette objection, il faut prendre garde à deux principes que l’on ne saurait nier, l’un qu’un corps ne saurait être en deux lieux tout à la fois, l’autre que deux parties du temps ne peuvent point exister ensemble. Le premier de ces deux principes est si évident, lors même qu’on n’emploie pas de l’attention, qu’il n’est pas besoin que je l’éclaircisse : mais comme l’autre demande un peu plus de méditation pour être compris, et qu’il contient toute la force de l’objection, je le rendrai plus sensible par un exemple. Je dis donc que ce qui convient au lundi et au mardi à l’égard de la succession, convient à chaque partie du temps quelle qu’elle soit. Puis donc qu’il est impossible que le lundi et le mardi existent ensemble, et qu’il faut nécessairement que le lundi cesse d’être avant que le mardi commence d’être, il n’y a aucune partie du temps, quelle qu’elle soit, qui puisse coexister à une autre ; chacune doit exister seule, chacune doit commencer d’être lorsque la précédente cesse d’être : chacune doit cesser d’être avant que la suivante commence d’être. D’où il s’ensuit que le temps n’est pas divisible à l’infini, et que la durée successive des choses est composée de momens proprement dits, dont chacun est simple et indivisible, parfaitement distinct du passé et du futur, et ne contient que le temps présent. Ceux qui nient cette conséquence doivent être abandonnés ou à leur stupidité, ou à leur mauvaise foi, ou à la force insurmontable de leurs préjugés. Or si vous posez une fois que le temps présent est indivisible, vous serez contraint d’admettre l’objection de Zénon. Vous ne sauriez trouver d’instant où une flèche sorte de sa place ; car si vous en trouviez un, elle serait en même temps dans cette place, et elle n’y serait pas. Aristote se contente de répondre que Zénon suppose très-faussement l’indivisibilité des momens[4].

La IIe. objection de Zénon était celle-ci. S’il y avait du mouvement, il faudrait que le mobile pût passer d’un lieu à un autre ; car tout mouvement enferme deux extrémités, terminum à quo, terminum ad quem, le lieu

  1. * Bayle, disent Leclerc et Joly, se plaît, dans ses remarques (F et G) de cet article, à contrefaire le pyrrhonien sur l’existence de l’étendue et du mouvement : « mais on peut, sans crainte de se tromper, soutenir deux propositions : la première qu’il n’est pas convaincu lui-même de ce qu’il avance ; et la seconde, qu’il n’a convaincu personne. » Joly renvoie à l’Examen du Pyrrhonisme de Bayle, par Crouzes, pages 93 et suiv., 127 et suiv., 187 et suiv.
  1. Fonseca, in Aristotelis Metaphys., ibidem, pag. m. 473, 474.
  2. Au chap. IX du VIe. livre.
  3. Je la compte pour la première, parce qu’Aristote la propose et y répond au commencement du chapitre ; mais dans la suite il la place au troisième rang.
  4. Τοῦτο δέ ἐςι ψεύδος οὐ γὰρ σύγκειται ὁ χρόνος ἐκ τῷν νῦν ὄντων ἀδιαιρέτων, ὥσπερ οὐδ᾽ ἄλλο μέγεθος οὐδέν. Hoc verò est falsum, cùm tempus ex momentis individuis non constet, ut neque alia ulla magnitudo. Aristoteles, Physic., lib. VI, cap. IX.