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ZÉNON.

nivers (E) ; car comment eût-il pu dire que lui, qui soutenait un tel dogme, n’existait pas ? Comment lui, qui ne cherchait qu’à embarrasser par ses disputes sur le pour et sur le contre, tous ceux avec qui il disputait [a], à les embarrasser, dis-je, de telle sorte qu’ils ne sussent de quel côté se tourner ; eût-il voulu se commettre si visiblement ? Ne voyait-il pas qu’il était facile de le confondre par la demande si le néant peut raisonner ? Il argumentait avec vigueur contre l’existence du mouvement. Quelques-unes de ses objections là-dessus nous ont été conservées dans les écrits d’Aristote (F) ; mais il est vraisemblable qu’il en proposait plusieurs autres, qui étaient peut-être les mêmes que l’on verra ci-dessous (G), et dont quelques-unes combattent l’existence de l’étendue ; et paraissent beaucoup plus fortes que tout ce que les cartésiens sauraient alléguer. Je parle de quelques cartésiens qui soutiennent publiquement, et même dans les pays d’inquisition, qu’on ne peut savoir que par la foi qu’il y ait des corps : Les sens nous trompent, disent-ils, à l’égard des qualités de la matière ; nous devons donc nous défier de leur témoignage à l’égard des trois dimensions. Il n’est pas nécessaire, ajoutent-ils, qu’il y ait des corps : Dieu peut sans cela communiquer à notre âme tout ce qu’elle sent, et tout ce qu’elle connaît ; et par conséquent les preuves que la raison nous fournit de l’existence de la matiere ne sont pas assez évidentes pour former une bonne démonstration sur ce point-là (H). Quant aux objections que l’on peut fonder sur la distinction du plein et du vide, et qui peuvent être bien embarrassantes pour les philosophes modernes, je trouve très-apparent qu’il ne les oublia pas (I). N’ayant pas été contemporain de Diogène le cynique, ce ne fut point sa leçon que l’on réfuta par un tour de salle. Tout le monde admire la méthode dont ce Diogène se servit pour renverser les raisons du philosophe qu’il avait ouï dogmatiser sur la négation du mouvement. Il fit une promenade dans l’auditoire, et il jugea qu’il n’en fallait pas davantage pour convaincre de fausseté tout ce que le professeur venait de dire ; mais il est certain qu’une réponse comme celle-là est plus sophistique que les raisons de notre Zénon (K). Je ne pense pas qu’il enseignât, comme quelques-uns l’assurent [b], que la matière est composée de points mathématiques : je croirais plutôt qu’il soutenait qu’elle n’en peut être composée [c]. Je ne dois pas oublier qu’il fut moins ferme à souffrir les médisances qu’à souffrir les cruautés que l’on exerça sur son corps. Il se fâcha tout de bon contre un homme qui lui disait des injures ; et lorsqu’il vit qu’on trouvait étrange son indignation, il répondit : Si j’étais insensible aux injures, je le serais aussi aux louanges [d]. Cette

  1. Voyez les paroles de Plutarque, dans la remarque (E), vers la fin.
  2. Voyez ci-après citation (135).
  3. Voyez Aristotel. Metaph., lib. III, cap. IV.
  4. Diog. Laërt., lib. IX, num. 29, pag. 566.